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MÉLAMPUS.

quantité de chevaux [1]. Que ce fut la passion du temps, il le prouve, 1°. par les conditions que Nélée stipulait des soupirans de sa fille ; 2°. par l’ordre qu’Eurysthée donna à Hercule de lui amener des bœufs d’Espagne ; 3°. par les conditions du combat entre Éryx et Hercule. Celui-là s’il était vaincu devait perdre son royaume, et s’il vainquait il devait gagner les bœufs qu’Hercule avait amenés d’Érythée ; 4°. par le présent de cent bœufs qu’Iphidamas, fils d’Anténor, fit à son beau-père en se mariant. La seconde observation de Pausanias est que ceux qui mariaient leurs filles exigeaient de leurs gendres un présent de noces [2]. Cela me fait souvenir de Saül, qui obligea David à lui apporter cent prépuces de Philistins [3]. Mais disons aussi que Pausanias fait un péché d’omission, qui nous empêche de juger exactement de celle affaire. On juge par son récit que la seule envie de posséder de beaux bœufs marque d’opulence fastueuse en ce temps-là, portait Nélée à exiger des amans de Péro qu’ils lui amenassent les bœufs d’Iphicle. Mais la vérité est qu’une autre passion le faisait agir de la sorte. Une partie des biens de Tyro sa mère avait été usurpée par Iphicle [4] : il voulait se dédommager et se venger. Voilà pourquoi il voulut que celui qui épouserait sa fille allât faire ce coup-là. Il n’y a guère de péchés d’omission qui ne fassent devenir trompeuse une histoire. Ce défaut règne dans presque tous les récits de l’ancienne mythologie. Le seul moyen d’en avoir de bons est de joindre ensemble les pièces que l’on trouve dispersées dans divers auteurs. C’est ce que Muret a pratiqué à l’égard de cette expédition de Mélampus ; et par ce moyen il en a donné une relation complète. Tirons-en les circonstances que Pausamias et Apollodore ont omises.

Mélampus fut servi dans la prison par un fort bon homme marié à une mauvaise femme. Il reçut mille honnêtetés de celui-là, et plusieurs mauvais traitemens de celle-ci. Les vers qui rongeaient la poutre ayant fait connaître que la maison tomberait bientôt, il fit semblant de se porter mal, et demanda qu’on le transportât ailleurs avec son lit. Le mari se mit devant, la femme derrière. Dès que le lit fut dehors presque tout entier la maison tomba, et écrasa cette femme : le mari ayant appris de Mélampus tout le secret de l’affaire, le fit savoir à Phylaque, qui en avertit Iphicle. Celui-ci ayant connu l’habileté et le dessein de Mélampus, lui fit bien des amitiés. Vous aurez mes bœufs, lui dit-il, pourvu que vous me fassiez avoir des enfans. Le devin lui donna bonne espérance ; il sacrifia, il marqua les régions des augures : toutes sortes d’oiseaux s’y rendirent, hormis le vautour ; mais aucun ne lui sut dire ce qu’il fallait faire pour mettre Iphiclus en état de rendre enceinte sa femme. Enfin le vautour se présenta et fut plus habile que tous les autres. Il indiqua la cause de la stérilité, et puis le remède. Phylaque, dit-il, se fâcha un jour contre son fils et le poursuivit l’épée à la main, et ne l’ayant pu atteindre il ficha son épée dans un poirier. Elle y est demeurée depuis ce temps-là enveloppée sous l’écorce. Vous la trouverez en un tel endroit, tirez-l’en, et faites boire la rouille dix Jours de suite à Iphicle dans du vin. La peur qu’il eut ce jour-là est la cause de son impuissance ; vous l’en guérirez par la recette que je prescris [5].

Cette narration sert de commentaire à quelques vers de Properce, qui méritent un peu de censure. Muret n’a point aperçu la faute. Properce, ayant dit que l’amour est une passion qui contraint les jeunes gens à tout endurer, le prouve par la prison de Mélampus.

Ac veluti primò taurus detractat aratra,
Mox venit absueto mollis ab arva jugo ?
Sic primo juvenes trepidant in amore feroces,

  1. Ἐσπουδάκεσαν δὲ ἄρα οἱ τότε πλοῦτόν τινα συλλέγεσθαι τοιοῦτον ἵππων καὶ βοῶν ἀγέλας. Fuit hoc præcipuum illis temporibus divitiarum studium luculenta habere equorum et boum pecuaria. Pausan., lib. IV, sub fin.
  2. Εδνα ἐπὶ τῆ θυγατρὶ ᾔτε ιτοὺς μνομένους. A filiæ procis sponsalitium munus deposcebat. Pausanias, lib. IV, sub fin.
  3. Ier. livre de Samuel, chap. XVIII, vs. 25.
  4. Voyez Muret, in Propertium, eleg. III, lib. II.
  5. Tiré de Muret, in Propert., eleg. III, lib. II.