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MARULLE.

ne paraît aucune trace de christianisme dans les hymnes de Marulle [* 1]. In hymnis adjutum fuisse à Joanne Francisco Pico erant qui assererent Lilii Gyraldi ætate, quod tamen mihi neutiquàm verisimile fit, cùm constet Pico tanto studio incubuisse christianæ theologicæ, ut omnem prorsùs styli atque elocutionis ornatum neglexisse meritò videri possit. Marullum verò si legas, nec volam, nec vestigium hominis christiani invenias [1]. C’est bien raisonner, ce me semble. Piérius Valérianus rapporte que ce poëte blasphéma terriblement lorsqu’il mourut. Ferunt illum primo statim casu vehementer excanduisse, utque erat iræ impatiens convitia et maledicta in superos detorsisse [2]. Érasme aurait trouvé supportables les poésies de Marulle, si elles eussent contenu moins de paganisme : Marulli pauca legi, dit-il dans son Ciceronanius, tolerabilia si minùs haberent paganitatis. Ce paganisme n’est pas le plus grand mal de Marulle : ses impiétés sont beaucoup plus condamnables : c’est par-là sans doute que Lucrèce lui avait tant plu, qu’il en donna une nouvelle édition, et qu’il tâcha de l’imiter [3], et qu’il disait qu’il fallait seulement lire les autres poëtes, mais apprendre par cœur Virgile et Lucrèce [4]. Cette édition est foudroyée dans les notes de Joseph Scaliger sur Catulle. Voici une preuve de l’audace impie avec laquelle Marulle blasphémait contre le ciel :

At pia pro patriâ, pro dîs, arisque tuendis,
Indueras Latium dux caput arma tibi.
Ultoresque deus jurata in bella trahebas,
Si modò sunt curæ jusque piumque deis
Sed neque fas, neque jura deos mortalia tangunt.
Et rapit arbitrio sors fera cuncta suo.
Nam quid prisca fides juvit, pietasque Pelasgos ?
Nempe jacent nullo damna levante deo.
Aspice Byzanti quondàm gratissima divis
Mœnia, Romanæ nobile gentis opus
Hæc quoque jampriden hostili data præda furori est,
Solaque de tantâ gloria gente manet [5].

(C) Il s’attacha au métier des armes en Italie. ] L’auteur des Anecdotes de Florence [6] dit que Marulle passa de Grèce en Italie dans une compagnie de cuirassiers ; cela pourrait être ; mais Paul Jove, que cet auteur a le plus suivi pour ce qui regarde les savans de ce temps-là, ne le dit point. Voici ses paroles : Inter alarios [* 2] equites descriptus, Nicolao Rallâ Spartano duce in Italiâ militavit. Je ne crois pas qu’alarius eques doive être traduit cuirassier.

(D) C’était un esprit inquiet, qui ne trouva jamais une assiette fixe, ni pour son corps, ni pour ses études. ] Je citerai deux auteurs. Inquieto ingenio nullibi sedem stabilem nactus, in cursum studiorum ac itinerum semper fuit [7]. Nullius unquàm principis ita liberalitate ita adjutus, ut in litterarum otium se conferre posset [8]. Je ne sais s’il faut opposer à leur témoignage celui de Crinitus. On en fera ce qu’on voudra ; le voici en vers :

Et gradum
Placuit ad urbem flectere,
Quâ noster Medices Pieridum parens
Marulle hospitium dulce tibi exhibet.
Ac te perpetuis muneribus fovens
Phœbum non potitur tela resumere
Laurens Camænarum decus [9].


Marulle avait donc un bon Mécène en la personne de Laurent de Médicis. Crinitus a bien loué Marulle. Voyez nommément sa Nænia de obitu poëtæ Marulli.

(E) Il méprisa le travail de la traduction. ] M. Varillas [10] débite que Laurent de Médicis conjura Marulle, par des lettres qui subsistent encore, de traduire les œuvres morales de

  1. * Cependant le Crescimbeni, que cite Joly, dit avoir vu une traduction, faite par Marulle, de la chanson de Pétrarque : Vergine bella.
  2. (*) S’il était sûr que Paul Jove eût écrit alarios, sans aucun trait d’abrévation dans la copie, alarii equites seraient, selon moi, des chevau-légers, et non pas des cuirassiers, la cavalerie légère avant, pour ainsi dire, des ailes en comparaison de l’autre. Mais peut-être au lieu d’alarios equites, la bonne leçon est-elle alabasiarios equites, des arbalétriers, comme était alors la cavalerie albanaise, depuis connue en France sous le nom d’estradiots. Rem. crit.
  1. Not. ad Sannaz., pag. 189, edit. Amstel, 1689. Voyez aussi pag. 201.
  2. Pier. Val., de Litt. Infel., lib. II, p. m. 70.
  3. Gyrald., dialog. I de Poëtis sui temp.
  4. Crinitus, de honestâ Disciplin., l. XXIII, cap. VII.
  5. Marul., Epigr., lib. I, pag. m. 16, 17.
  6. Pag. 179. Les imprimeurs, qui ont défiguré misérablement les noms propres dans cet ouvrage ont mis Marille au lieu de Marulle. À la page 161, ils ont mis Trachamote, au lieu de Tarchaniote.
  7. Jovius, in Elog., cap. XXVIII.
  8. Pier. Valer., de Infel. Litter., lib. II.
  9. Crinitus, lib. II Poëmat., pag. m. 828.
  10. Anecdotes de Florence, pag. 179.