Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
332
MAROT.

Concluons de là sûrement qu’il a été marié ; car il n’était pas assez perdu pour oser dire dans une lettre à François Ier. qu’il regrettait ses bâtards. La Croix du Maine rapporte que Michel Marot, fils de Clément Marot, a écrit quelques poésies françaises qui ont été imprimées avec les Contredits à Nostradamus, composés par le seigneur du Pavillon... imprimés à Paris l’an 1560, par Charles l’Angelier [1].

(R) Il y a certaines choses... qui doivent être rectifiées. Cela me donnera lieu d’indiquer la plus ample des éditions de ses Œuvres. ] Quand on nie ou que l’on révoque en doute ce qui est vrai, on a toujours tort ; mais on est quelquefois fort excusable, parce que l’on s’est fondé sur des raisons très-spécieuses. Je me trouve ici dans ce cas-là. J’ai contredit [2] un auteur qui a débité que Marot fut page d’un Nicolas de Neufville, qui fut le premier secrétaire d’état de sa famille [* 1], et qu’il lui dédia son poëme du temple de Cupidon, le 15 de mai 1538. C’est fort justement que j’ai nié qu’il ait été page de Nicolas de Neufville qui fut secrétaire d’état mais je ne devais pas nier qu’il n’eût été page du père de celui-là. Je me fondais sur la différence d’âge, je prenais pour un fait certain ce que Théodore de Bèze assure que Marot vécut soixante ans. Qui aurait pu s’imaginer que Théodore de Bèze se trompait, lui qui sans doute avait connu à Paris Clément Marot [3], et qui avait pu s’instruire à Genève de plusieurs particularités concernant ce fameux réfugié. Or, en supposant que Marot naquit l’an 1484, comme il fallait le supposer sur le témoignage de Théodore de Béze, on devait nier qu’il eût été page d’un Nicolas de Neufville, mort l’an 1599. Je tirais ma seconde raison d’un passage de Clément Marot, où il assure que depuis l’âge de dix ans il avait été toujours à la suite de François Ier. Cela convient-il à un homme qui a été page de Nicolas de Neufville ? De fort bonnes éditions des Œuvres de Clément Marot ne contiennent point l’épître dédicatoire du Temple de Cupidon. N’est-ce pas un sujet plausible de s’imaginer que si elle se rencontre dans quelques autres éditions, c’est une pièce supposée ? Voilà les principes sur lesquels j’ai raisonné dans la remarque (B) : on ne saurait disconvenir qu’ils ne fussent très-probables ; néanmoins je dois avouer ingénument que Marot a été page d’un Nicolas de Neufville, et qu’il l’avoue lui-même en lui dédiant le Temple de Cupidon. J’ai trouvé cette épître dédicatoire dans l’édition de Niort, par Thomas Portau, 1596. Cette édition [4] est meilleure qu’aucune autre que j’eusse consultée : les paroles de Marot sont celles-ci. « En revoiant les escrits de ma jeunesse, pour les remettre plus clers, que devant en lumiere, il n’est entré en mémoire, que estant encore page, et à toy, trés honoré seigneur, je composay par ton commandement la Queste de ferme amour, laquelle je trouvay au meilleur endroit du temple de Cupidon, en le visitant, comme l’aage lors le requeroit. C’est bien raison doncques, que l’œuvre soit à toi dédiée, qui la commandas, à toi mon premier maistre, et celui seul (hors mis les princes) que jamais je servi [5]. » Vous voyez par-là qu’il fit des vers avant que d’être sorti de page. Cette circonstance me confirme dans l’opinion où je suis présentement, que Marot mourut plus jeune que Bèze dit ; car s’il eût eu soixante ans lorsqu’il mourut en 1544, il serait né l’an 1484, et il eût servi chez Nicolas de Neufville vers le commencement du XVIe. siècle,

  1. * Leduchat observe, 1°. que Nicolas de Neufville ne fut pas secrétaire d’État, mais secrétaire du roi, maison et couronne de France ; 2°. que du temps de Marot, ceux qu’on nommait pages, n’étaient probablement pas comme depuis, des enfans de qualité, qu’on ne place sur ce pied-là qu’auprès des princes et des personnages du plus haut rang. Marot n’était pas gentilhomme, et la naissance de Nicolas de Neufville, ni son emploi, ne lui donnaient pas le droit d’avoir un page de cet ordre. Aujourd’hui, en France, le roi seul a des pages.
  1. La Croix du Maine, pag. 326.
  2. Dans la remarque (B).
  3. Bèze, ayant un talent exquis pour la poésie, se fit sans doute connaître à Clément Marot, ou trouva pour le moins les occasions de le voir.
  4. M. des Maizeaux m’a fait la faveur de me donner son exemplaire, en juin 1702.
  5. Marot, épître dédicat. à messire Nicolas de Neufville, Chevalier, seigneur de Villeroy. Elle est datée de Lyon, le 15 de mai 1528.