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MAROT.

comment ils estoient frequentement chantez, mesmes de monseigneur le daulphin, elle demoura toute admirative, puis me dit, je ne sçay où madame la daulphine a pris ce psalme, vers l’Eternel, n’est des traduicts de Marot. Mais il n’est possible qu’elle en eust sçeu trouver un autre où son affliction soit mieux despeincte, et par lequel elle puisse plus clairement monstrer ce qu’elle sent, et demander à Dieu en estre allegée, comme vrayement elle sera. Car puis qu’il a pleu à Dieu mettre ce don en leurs cœurs, voici le temps, voici les jours sont prochains, que les yeux du roi seront contens, les desirs de monsieur le daulphin saoulez et rassasiez, les pensées des ennemis de madame la daulphine renversées, mon esperance aussi et la foy de mes prieres prendront fin. Il ne passera gueres plus d’un an que la visitation misericordieuse du seigneur n’apparoisse, et gaigeray qu’elle aura un fils pour plus grande joye et satisfaction... [1] De treize à quatorze mois en là, vous enfantastes notre roy François, qui vit aujourd’huy….. [2] Mais ainsi que ce bon Dieu vous rendoit plus feconde, ainsi alloit le feu roy negligeant et oubliant tel bienfaict : dont advint que Dieu irrité permit que ce povre prince, enyvré de la menstrue de cette vieille paillarde Diane, donna par elle entrée en sa maison à un jeune serpent [3], qui secrettement leichoit le sein d’elle, dont il se feit oracle, et elle organe de lui, qui commença à blasmer les susdicts psalmes de David, lesquels enseignent à laisser tous pechez, fortifient la chasteté, et corroborent la vertu : et va faire feste des vers lascifs d’Horace qui eschauffent les pensées et la chair à toutes sortes de lubricitez et paillardises, et met en avant toutes chansons folles : et en faisoyent forger de leurs infames amours par ces beaux poëtes du diable, pour non seulement entretenir leur vie impure et impudique, ains pour les engouffrer et absorber en l’abysme de toute iniquité et desordre, voire de toute impieté. Car luy voyant que ladicte grande seneschalle avoit à l’imitation de vous une Bible en françois : avec un grand signe de la croix, un coup de sa main sur sa poictrine, et parole souspirante d’un hypocrite, la luy va despriser et damner, luy remonstrant qu’il n’y falloit pas lire, pour les perils et dangers qu’il y a, mesmes qu’il n’appartenoit aux femmes telle lecture : mais qu’en lieu d’une messe, elle en ouist deux, et se contentast de ses patenostres et de ses heures, où il y avoit tant de belles devotions et belles images. Et par ainsi ceste povre vieille pecheresse persuada tout son dire au feu roy, et vous y contraignoyent, madame, jusques à vous oster vostre confesseur Bouteiller, qui pour lors vous preschoit et administroit purement la verité evangelique, et au lieu dudict Bouteiller, vous bailla par force son docteur Henuyer sorboniste [* 1], pour suborner vostre conscience : et depuis le bailla au feu roy pour gouverner la sienne, sçavoir qu’elle disoit, et y imprimer ce qu’il vouloit. Brief il vous destroussa tous deux de ces saincts meubles qui ne perissent point, mais entretiennent en incorruption celuy qui les possede, et toute sa maison : les vous cacha, et vous rendit tous deux captifs de vaines superstitions, soubs la corde de la vieille, que premierement pour mieux jouer son roole il avoit aveuglée. »

(P) L’église de Genève, qui s’était servie la première de cette version... a été la première à l’abandonner. ] Il y a long-temps qu’on s’apercevait en France que certains endroits de cette version étaient devenus barbares, et cela fit naître à M. Conrart la pensée de la revoir. Il commença ce travail, et monsieur de la Bastide l’acheva. Mais leur nouvelle version

  1. * Leclerc fait ici une remarque étrangère à Bayle. Du mot sorboniste employé dans le passage transcrit par Bayle, il conclut qu’on a eu tort, dans le Moréri, de donner à Hennuyer la qualité de jacobin, contre l’opinion de lui, Leclerc.
  1. Recueil des choses mémorables... depuis la mort de Henri II, pag. 505.
  2. Là même, pag. 506.
  3. On veut parler du cardinal de Lorraine.