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MAROT.

sion jusques à cinquante psaumes [1]. » Bèze continua la version des cent autres [2], et les pseaumes, qu’il rhyma à limitation de Marot, furent receus et accueillis de tout le monde, avec autant de faveur que livre fut jamais ; non-seulement de ceux qui sentoient au lutherien, mais aussi des catholiques, chacun prenoit plaisir de les chanter. Aussi étoient-ils plaisans, faciles à apprendre, et propres à jouër sur les violes et instrumens. Calvin eut le soin de les mettre entre les mains des plus excellens musiciens qui fussent lors en la chrestienté, entr’autres de Godimel, et d’un autre nommé Bourgeois, pour les coucher en musique [3]... Dix mille exemplaires furent faits deslors de ces pseaumes rhymés, mis en musique, et envoyez par tout. A ce commencement chacun les portoit, les chantoit comme chansons spirituelles, mesmes les catholiques, ne pensant pas faire mal. Car ce n’etoit encores, et ne fut de quelques années après, le formulaire de la religion calviniste ; mais depuis ils furent ordonnez pour être chantez en leurs assemblées, distribuez par petites sections ; ce qui fut l’an 1553, pour servir comme les reposoirs d’un escalier à prendre haleine en une si longue dévotion telle que la leur. Car le chant des pseaumes qui se fait au presche dure demy-quart d’heure pour le plus. Apres qu’ils les eurent accouplez aux catechismes calviniens et genevois, l’usage en fut du tout interdit, et les premieres deffenses renouvelées, avec des peines rigoureuses, de sorte que chanter un pseaume c’estoit être lutherien [4]. Le précis de ce narré de Florimond de Rémond a été mis en très-beau latin par Famien Strada [5], qui observe en particulier que François Ier. chantait souvent cette traduction des psaumes [6].

Comme je m’arrête ici principalement aux faits, je n’ai point voulu me charger des observations critiques de Florimond de Rémond. Il veut que Marot ait falsifié le texte hébreu, quoique Vatable lui en donnât une très-bonne version. On a réfuté la critique de cet historien, non-seulement par des raisons, mais aussi par des autorités [7]. On a produit « l’Appobation des docteurs de Sorbonne, sur laquelle Charles IX, dans la plus grande ferveur des persécutions, accorda un privilége à Antoine Vincent, imprimeur de Lyon, pour l’impression des psaumes. La voici : Nous soussignés, docteurs en théologie, certifions qu’en certaine translation de psaumes à nous présentée, commençant au 48e. psaume, où il y a, c’est en sa très-sainte cité, poursuivant jusqu’à la fin, et dont le dernier vers est, chante à jamais son empire, n’avons rien trouvé contraire à notre foi catholique, ains conforme à icelle, et à la vérité hébraïque ; en témoin de quoi avons signé la présente certification, le 16 d’octobre, signé J. de Salignac. Viboult. Le privilége qui fut accordé à Plantin, pour l’impression de ces Psaumes, dit aussi, que ces psaumes avant l’impression avaient été examinés, visités et approuvés par M. Josse Schelling portionnaire de Saint-Nicolas, à Bruxelles, à ce député par le conseil de Brabant. Et qu’après que ces psaumes ont été achevés d’imprimer, ils ont été visités derechef et trouvés ne répugner point à la foi catholique [8]. » Afin qu’on voie les dates, il faut joindre à ces paroles ce qu’a dit le même auteur trois pages après ; c’est que l’édition pour laquelle Charles IX accorda un privilége à Antoine Vincent, imprimeur de Lyon, se voit encore aujourd’hui ; elle est de 1562, et le privilége du 19 d’octobre de la même année. Trois ans après, Plantin les imprima à Anvers, avec privilége de Philippe, roi d’Espagne [9]. M. Bruguier, ministre et professeur en théologie à Nîmes, a rapporté les propres termes

  1. Le même Flor. de Rémond, Hist. de la Naissance et Progrès de l’hérésie, liv. VIII, chap. XVI, pag. m. 1043.
  2. Là même, pag. 1044.
  3. Là même, pag. 1049.
  4. Là même, pag. 1050.
  5. Strada, de Bello belg., dec. I, lib. III, pag. m. 130, 131.
  6. Rex quamvis ejus (Maroti) versiculos identidem cantitaret. Idem, ibidem.
  7. Voyez M. Jurieu, Apologie pour les Réform., tom. I, pag. 126 et suiv., édition in-4°.
  8. Là même, pag. 127.
  9. Là même, pag. 130.