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MAROT.

j’avoue que cette preuve me paraît faible, quand je considère que Rabelais écrivit comme une nouvelle, l’an 1536, le renvoi de cette dame [1]. Comme je ne vois rien dans les œuvres de Marot, qui puisse faire juger qu’il demeura fort long-temps à la cour du duc de Ferrare, je ne vois point que M. Maimbourg s’éloigne beaucoup de la vérité ; car Marot nous dit lui-même qu’il demeura peu à la cour du roi de Navarre.

Si m’en allay, evitant ce danger,
Non en païs, non à prince estranger,
Non point usant de fugitif destour,
Mais pour servir l’autre roy à mon tour,
Mon second maistre, et la sœur son espouse,
À qui je fus des ans a quatre et douze,
De ta main noble heureusement donné.
Puis tost apres ; royal chef couronné,
Sçachant plusieurs de vie trop meilleure,
Que je ne suis, estre bruslez à l’heure.
Si durement, que mainte nation
En est tombée en admiration,
J’abandonnay, sans avoir commis crime ;
L’ingrate France, ingrate, ingratissime
A son poëte [2]..........


En comparant ce passage avec celui que l’on a vu ci-dessus [3], l’on reconnaît aisément la vraie époque de la retraite de Clément Marot, et l’on sait de quelle manière il en faut ranger les circonstances. Les ennemis de ce poëte le décrièrent auprès du roi au temps des placards, et sans doute ils le rendirent suspect d’être complice de l’insolence de ceux qui les affichèrent. Il en fut averti, et résolut de s’aller justifier. Mais parce qu’on lui fit craindre de n’en venir pas à bout, il se retira auprès de la reine de Navarre ; et apprenant là que François Ier. faisait brûler quelques luthériens, il s’éloigna encore plus de Paris, et se sauva en Italie. Ainsi M. Maimbourg ne s’est trompé que de peu de mois : il a cru que Marot ne se retira en Béarn qu’après la harangue du roi. On devait dire qu’il s’y retira quelques semaines auparavant [4].

(L) La Fontaine s’est reconnu son disciple. ] Voici ce qu’il écrivit à M. de Saint-Évremond :

Vos beaux ouvrages sont cause ;
Que j’ai su plaire aux neuf sœurs,
Cause en partie, et non toute :
Car vous voulez bien sans doute,
Que j’y joigne les écrits
D’aucuns de nos beaux esprits.
J’ai profité dans Voiture,
Et Marot par sa lecture
M’a fort aidé, j’en conviens.
Je ne sais qui fut son maître ;
Que ce soit qui ce peut être,
Vous êtes tous trois les miens [5].


J’oubliais maître Francois, dont je me dis encore le disciple, aussi bien que celui de maître Vincent, et celui de maitre Clément. À propos de ce qu’il dit qu’il ignore de qui Marot fut disciple, je rapporterai un passage de Louis Camérarius, qui nous apprendra que Jean le Maire de Belges fut le maître de Marot. Audivi ego ex viris dignis fide, eum illum Belgam, hominem doctum et in linguæ latinæ antiquioribus scriptis multùm versatum, pimum fuisse : qui rationem et modum demonstraret elegantioris sermonis gallici loquendo, scribendi autem quasi artis viam indicâsse, quam cùm ipse sequeretur usurpando, tùm aliis præcipiendo traderet : cumque poëtam quem Gallia habuit celeberrimum, et cujus ornatam copiam venustatemque imprimis admirata est, Clementem Marottum, eundem percoluisse, et componendi versus scientiam edocuisse [6]. N’en déplaise à l’auteur de ces paroles latines, elles sont très mal rangées et il n’aurait pas dû se prévaloir de la liberté que donne l’ancienne langue des Romains, de se servir d’expressions que l’on peut entendre en divers sens. Il faut consulter la chronologie, pour bien savoir s’il veut dire que Clément Marot enseigna à Jean le Maire à faire des vers, ou s’il entend que Jean le Maire enseigna cela à Clément Marot. Ce dernier sens est le véritable ; mais on ne le trouve que par une forte attention au but de l’auteur, fortifiée des lumières de la chronologie. Pourquoi fatigue-t-on ainsi sans nécessité l’esprit des lecteurs ? Je re-

  1. Voyez l’article Ferrare, tom. VI, pag. 442, citation (47).
  2. Marot, Épître au roi, du temps de son exil à Ferrare, pag. 180, 181.
  3. Citation (21).
  4. L’affaire des placards regarde le mois de novembre 1534 : la procession et la harangue de Francois Ier. appartiennent au mois de janvier 1535.
  5. La Fontaine, Œuvres posthumes, pag. 107, édition de Hollande.
  6. Ludovicus Joach. F. Camerarius, in Proæmio versionis latinæ Tractatûs de Differentiis Schismatum.