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MARILLAC.

ne jugeront pas que le Moréri nous instruise fidèlement, ni que M. de Marillac n’ait jamais eu intention de se sauver. Le roi voulut savoir de M. de Puységur s’il voulait répondre de ce maréchal, et le conduire dans la grande salle du vicariat de Pontoise. Je dis, ce sont les paroles de M. de Puységur [1], que je n’en pouvais pas répondre ; que M. le garde des sceaux de Marillac y avait une fille religieuse, qui était fort puissante et fort aimée ; que je ne voulais pas me hasarder de le mener là ; et qu’il y avait encore une autre raison qui m’en empêchait, que je ne lui voulais pas dire, et que le roi a sue depuis, qui était que, par l’intrigue de cette religieuse et de la reine-mère, M. d’Argouges, qui était à elle, m’avait voulu donner cent mille écus pour mettre M. de Marillac en liberté.

L’autre observation de Moréri, savoir que le parlement de Paris a rétabli la mémoire du maréchal de Marillac, pourrait renverser ce que j’ai dit dans la première remarque de cet article, si ce parlement avait revu le procès, et déclaré que les juges qui condamnèrent le maréchal l’avaient opprimé volontairement, ou avaient été trompés par de faux témoins. Mais je ne saurais me persuader que l’arrêt du parlement de Paris contienne rien de semblable. J’avoue que je n’en sais point la teneur, et que je ne me souviens point d’avoir vu de livre, excepté le Dictionnaire de Moréri, où il soit fait mention de cela. Le père Anselme n’en dit rien ; et cependant c’était un homme qui cherchait à obliger les familles dont il parlait. Le sens commun dicte que si le parlement de Paris avait déclaré le maréchal de Marillac innocent de tous les crimes pour lesquels il avait été condamné à mort, c’eût été imprimer une note d’infamie à ceux qui le condamnèrent, et principalement à M. de Châteauneuf, leur président. Cette flétrissure eût été si noire, si honteuse, si abominable, qu’on ne comprend pas que M. de Châteauneuf eût pu se montrer aux yeux du public : et néanmoins ce fut après la mort du cardinal de Richelieu, c’est-à-dire au temps où, selon Moréri, la mémoire du maréchal de Marillac fut rétablie, qu’il se releva de sa disgrâce : et il faut même remarquer qu’il fut élevé, pour la seconde fois, à la dignité de garde des sceaux, l’an 1650 [2]. Voyez la note [3]. Je croirais donc aisément que l’arrêt dont M. Moréri parle ne concerne point les faits mêmes dont le maréchal fut accusé, mais seulement la procédure. Elle ne pouvait être que désagréable au parlement : car l’érection d’une chambre extraordinaire pour juger les officiers de la couronne, était quelque chose d’irrégulier et contre les droits des parlemens. Outre que le maréchal de Marillac avait souvent déclaré qu’il ne reconnaissait point pour ses juges naturels les commissaires qui lui faisaient son procès. Cela fournissait au parlement de Paris une raison spécieuse de prononcer que ce maréchal avait été mal jugé ; mais ce n’est point une preuve qu’on le déclarât innocent des crimes sur quoi la condamnation était fondée. Voici un exemple convaincant de ce que je dis. Après la bataille de Rocroi et la prise de Thionville, la cour, voulant marquer sa reconnaissance au duc d’Enghien, rendit à M. le prince de Condé la belle maison de Chantilly, et d’autres dépouilles de la succession du duc de Montmorenci, duquel madame la princesse de Condé était héritière. L’arrêt du parlement de Paris intervenu sur les lettres de Don, porte expressément que le duc de Montmorenci n’avait pas été bien jugé ; ce qui est fondé sur une des plus constantes maximes du royaume, que les ducs et pairs ne peuvent être jugés que par le roi en personne, et dans sa cour de parlement, garnie suffisamment de pairs, clercs et lais [4]. Selon ces maximes, le ma-

  1. Là même, pag. 87.
  2. Anselme, Histoire des grands Officiers, pag. 105.
  3. Le prince de Condé se souvenant que M. de Châteauneuf avait présidé au jugement de Montmorenci (conférez ce que dessus, remarque (G) tom. IX de l’article de Louis XIII, au commencement), le traversait autant qu’il pouvait, et lui fit enfin ôter les sceaux. Voyez Priolo, lib. V, cap. XVI et XXIX, et alibi. N’aurait-il pas allégué, s’il l’avait pu, l’infamie dont le parlement de Paris l’aurait noté ?
  4. Auberi. Histoire du cardinal Mazarin, liv. II, pag. 208.