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MARILLAC.

de temps que, s’il se fût rendu aux premiers jours de juillet à Suze, ainsi qu’il était facile, et qu’il en avait le commandement, le passage de Veillane eût été sans péril, et le secours de Cazal infaillible au commencement du mois d’août. S’il eût obéi comme il le pouvait, on ne fût point tombé dans les saisons de peste et de maladie mortelle à vingt mille Français de toutes conditions, qui périrent en automne ès plaines de Piémont. L’état des assiégés et de nos troupes n’eût point forcé les généraux de consentir, en septembre, aux Espagnols, l’entrée de la ville et du château, par une trêve que le seul événement rendit excusable, et le mauvais air de Lyon, envenimé de tant d’impuretés et de misères, n’eût point mis le roi dans le péril de la mort[1]. On voit ici la confirmation d’une remarque que j’ai faite ci-dessus[2], qu’il était du bien et du service de Louis XIII, que ses troupes fussent commandées par les amis du cardinal de Richelieu ; car, n’y ayant rien de plus propre à perdre ce premier ministre que les mauvais succès de la guerre, on avait lieu d’appréhender que les ennemis de ce cardinal ne favorisassent, du moins indirectement, les ennemis de la France. Voyez de quelle manière MM. de Marillac firent en sorte que l’expédition d’Italie, dont ils le voyaient chargé, fût malheureuse[3]. Je veux croire qu’ils ne voulaient pas les prospérités des Espagnols en tant que telles, mais seulement comme le moyen de faire tomber le premier ministre. De quelque façon qu’ils les voulussent, l’intérêt de la couronne et le service de Louis XIII en souffraient.

(I) L’engagement que l’aîné de ces messieurs avait pris avec la ligue. ] Les circonstances de cela sont très-singulières. M. du Châtelet assure qu’on représenta entre autres choses au cardinal de Richelieu, qu’il ne serait pas malaisé de faire croire l’ingratitude et les déguisemens de Marillac le garde des sceaux : qu’il serait facile de persuader que celui que tout le monde a cru possédé d’une fureur si étrange que de signer la ligue de son propre sang ; qui voulut de Français être fait Espagnol ; qui de conseiller au parlement de Paris, devint recors d’un procureur, pour emprisonner la plus illustre compagnie du monde ; qui se départit de sa prétention de gentilhomme pour être député du tiers-état de la ligue, quoiqu’il fût officier en cour souveraine ; qui de conseiller lai se fit assistant comme clerc à la fulmination de la bulle contre son roi ; et qui de ligueur forcené devint domestique de la duchesse de Bar, et son confident jusques au prêche ; aurait pu prendre, en cette occasion, tous les visages, Les changemens et les résolutions les plus convenables à sa passion[4]. L’auteur qu’on réfute avait dit que le maréchal de Marillac recommanda à son neveu de servir toujours bien le roi, après Dieu toutefois. M. du Châtelet critique cela. Sur quelle autre modification, dit[5], était fondée la rébellion de la ligue ? Bussy le Clerc, Spartaque de notre âge, animé par la présence et la fureur de maître Michel de Marillac qui l’assistait, usa-t-il d’un autre prologue pour arracher le sénat de son siége, et le traîner à la prison ?

(K) On voit dans le Moréri que... sa mémoire fut rétablie..….... après la mort de Richelieu. ] Les mémoires de M. de Puységur, cités dans le Dictionnaire de Moréri, portent que le jour même que le maréchal fut arrêté, le capitaine de ses gardes lui proposa de le faire sauver, et que le maréchal répondit que quand il le pourrait, il ne le ferait pas ; qu’il ne craignait rien : qu’il avait toujours été serviteur du roi ; et qu’il lui ordonnait de bien servir, et de dire à tous ses amis d’en faire de même[6]. M. de Puységur débite cela comme l’ayant su depuis par M. de Marillac. en le gardant à Pontoise. Ceux qui liront ce qu’il rapporte quatre pages après,

  1. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 793.
  2. Tom. IX, pag. 464, remarque (X) de l’article Louis XIII.
  3. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 789.
  4. Là même, pag. 796, 797. Voyez aussi pag. 787 et 836.
  5. Là même, pag. 839.
  6. Puységur, Mémoires, pag. 83, édition de Hollande.