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MARILLAC.

nonverba rebus aptant [* 1], sed res extrinsecùs arcessunt, quibus verba conveniant. Et l’autre [* 2] : qui alicujus verbi decore plicentis vocentur ad id quod non proposuerant scribere. »

Il y a du plus ou du moins dans tout ceci, et je ne rassemble pas, ni n’entasse pas toutes ces idées, afin de persuader que tous ceux qui se plaisent à la raillerie et à la satire adoptent ces excès-là également et sans exception. Mais il est important de faire voir par le côté le plus laid ce caractere d’esprit : on s’y laisse tromper aisément. Un controversiste qui a du génie divertit beaucoup les lecteurs de son parti, quand il tourne les choses malignement et avec des airs railleurs, satiriques et burlesques. Plus il divertit, plus a-t-il la force de persuader. Or comme les manières qu’il adopte l’engagent dans mille supercheries et dans mille falsifications, il est bon de le connaître sur le pied d’un imposteur dangereux. C’est le moyen de se tenir sur ses gardes : on le lira comme un homme dont il faut se défier, on ne croira rien sur sa parole, on examinera ce qu’il dit, on le confrontera avec les originaux ; et si l’on trouve qu’il change signum dilectionis en unguentiun amoris, On lui dira : Je ne suis point votre dupe, adressez vous à d’autres [* 3].

(E) L’ouvrage qui a pour titre : Sancta Maria Ægyptiaca, etc. ] Théophile Raynaud en est l’auteur. J’ai vu dans un autre de ses livres qu’il a supposé la vérité de l’histoire de cette sainte, nonobstant tous les efforts des Centuries de Magdebourg [1]. où l’on a traité de fable qu’elle ait vécu de deux pains dix-sept ans, qu’elle ait été enlevée en l’air, qu’elle ait passé le Jourdain sans nager et sans bateau, et que des lions aient eu soin de sa sépulture. J’y ai vu aussi que Nicolas Harpespheild, sous le nom d’Alanus Copus [2], a réfuté sur ce sujet les auteurs de ces Centuries, et qu’il y a dans l’ouvrage de Théophile Raynaud un appendix touchant les femmes qui étant sorties du bourbier de l’impureté, sont devenues saintes. Porrò hujus operis Mantissa est, Tractatio de Mulieribus sanctis è cœno turpitudinum emersis [3].

  1. (*) Qui n’accommodent pas les paroles aux choses, mais attirent des choses externes et hors du sujet, à qui leurs paroles puissent cadrer. Quintil., l. 8.
  2. (*) Qui par l’attrait d’un mot qui leur plaît, sont portés à ce qu’ils n’avaient pas envie d’écrire. Senec., epist. 59.
  3. * Joly s’écrie : Qui pourrait s’imaginer que Bayle fait ici son portrait ? et il ajoute : Rien cependant n’est plus véritable.
  1. Centur. IV, cap. X, pag. 1334.
  2. Dialog. II, cap. I et XIV.
  3. Tiré de Théophile Raynaud, Syntagm. de Libris propriis, num. 24, pag. 42 et 43 Apopompæi.

MARILLAC (Charles de), archevêque de Vienne, naquit en Auvergne environ l’an 1510. Il était avocat au parlement de Paris lorsque, se voyant suspect de luthéranisme il suivit à Constantinople Jean de la Forest, ambassadeur de François Ier. C’est ainsi qu’il évita la persécution terrible qu’il avait à craindre de la part des inquisiteurs. Il remplit la charge d’ambassadeur auprès du sultan après la mort de la Forest, et ensuite il fut chargé de plusieurs autres ambassades [a] dont il s’acquitta très-habilement. Il était abbé de Saint-Père [b], archevêque de Vienne, et conseiller au conseil privé, lorsque l’assemblée des notables fut convoquée à Fontainebleau, au mois d’août 1560. Il y prononça une harangue où l’érudition et l’éloquence n’éclatèrent pas moins que son zèle pour la reformation des désordres de l’église et de l’état (A). Il y conseilla entre autres choses la convocation d’un concile national, et celle des états généraux (B). Les Guises s’offensèrent de sa harangue, et détournèrent tous les bons effets de ses conseils. Il tâcha de prendre

  1. En Angleterre et en Allemagne, etc.
  2. Proche de Melun.