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MARIE.

stancié suppose que la fille de Pharao employa d’abord des nourrices égyptiennes, mais que l’enfant n’en voulut téter aucune ; et que Marie, faisant semblant de n’être là que par curiosité, représenta à la princesse qu’il était inutile de faire venir des nourrices qui ne fussent pas Hébreux, et qu’il serait bon d’essayer s’il deviendrait plus traitable auprès d’une femme de celle nation. La jeune fille reçut ordre d’en chercher quelqu’une, et ce fut sa mère qu’elle fit venir ; et comme l’enfant téta de bon cœur celle-ci, on le lui donna pour nourrisson [1]. Ce supplément de circonstances n’est point mal imaginé, quoiqu’il multiplie un peu les miracles. Notez qu’il y a des commentateurs qui trouvent que même selon le récit de l’Écriture il y eut quelque menterie dans les paroles de la sœur de cet enfant ; car elle feignit d’aller chercher une autre femme que sa mère. Là-dessus ils nous rapportent tous les exemples de fraudes officieuses ou pieuses, qui se lisent dans les écrivains sacrés, celui de Rebecca, celui de Rachel, celui de Michol, etc., et concluent qu’il y a des ruses louables, et que la tromperie est d’une utilité nécessaire, non-seulement dans la profession des armes, et dans l’administration de la politique, mais aussi dans les affaires domestiques [2]. C’est ce que vous trouverez dans le Commentaire du cordelier Jean Nodin, sur le deuxième chapitre de l’Exode ; et il se fonde sur l’autorité de saint Basile, et de saint Jean Damascène. Que cela est hors de propos ! Notre Marie ne faisait rien contre la sincérité, elle ne niait point que la femme qu’elle voulait faire venir ne fût sa mère ; elle se contentait de ne le point avouer, n’étant point questionnée là-dessus, ni obligée par aucune raison à dire ce qu’elle savait. Les protecteurs des équivoques ne peuvent trouver ici quoi que ce soit qui les favorise.

(B) Elle se mit à la tête des femmes d’Israël... afin de chanter le même cantique que les hommes avaient chanté. ] Quand je parle ainsi, je m’arrête à l’ordre de la narration de l’Écriture. Vous voyez dans le XVe. chapitre de l’Exode tout le cantique que Moïse et les enfans d’Israël chantèrent après la ruine de armée de Pharao, et puis vous lisez ceci : et Marie la prophétesse, sœur d’Aaron, prit un tambour en sa main, et toutes les femmes sortirent après elle avec tambours et flûtes. Et Marie leur repondait, chantez à l’Éternel, etc. [3] Le mot præcinebat de la Vulgate me paraît meilleur que le répondait de la version de Genève ; car il y a beaucoup d’apparence que ce fut Marie qui entonna le cantique, et qui conduisit le chant, et mena la danse des femmes. Consultez Philon, qui suppose que Moïse ayant composé deux chœurs, l’un d’hommes et l’autre de femmes, prit la direction de la musique dans celui-là, et la donna à sa sœur dans celui-ci, et que ces deux chœurs se répondaient l’un à l’autre. Il y en a qui croient que Moïse, ou seul, ou avec les hommes, chantait le cantique, et que les autres en chantaient seulement l’exorde, qu’ils répétaient de temps en temps comme un vers intercalaire. Oleaster hæc scribit : Crediderim equidem, Mosen et viros hebræos canticum hoc incœpisse, fœminas verò respondisse : ita quòd Moses aut solus, aut simul cum viris canticum prosequebatur, fœminæ verò respondebant seu repetebant illud exordium cantici : Cantemus Domino, ut constat ex fine hujus cantici, ubi talia verba repetuntur à Mariâ. Hoc enim solebat in aliis etiam canticis fieri, ut patet in psal. 135, ubi unus aut duo dicebant : Confitemini Domino, quoniàm bonus, quoniàm in œternum misericordia ejus. Et deinceps prosequebantur alios versus : cœtus autem aliorum repetebat semper illud : Quoniàm in æternum misericordia ejus. Idem quoque observare licet in primo libro Samuelis, capite decimo octavo. Solebant enim prophetæ choros canentium ducere, dùm laudes Dei celebrarent. Sic Oleaster. Philo tamen, in libro tertio de vitâ Mosis, ait, Mosen distribuisse omnem populum in duos choros, unum virorum, in quo ipse viris præibat carmen : alterum, in quo soror ejus Maria præcinebat fœminis. Ergò Moses prior quemlibet versum

  1. Joseph. Antiq., lib. II, cap. V.
  2. Ex Johanne Nodino, Comment. in priora XV capita Exodi, pag. 67, edit. Lugd., 1611.
  3. Exode, chap. XV, vs. 20, 21.