Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
MARIANA.

du temps des congrégations de Auxiliis, nous apprend les fâcheuses suites de la licence que Molina et tant d’autres se sont donnée d’enseigner leurs visions.... « Mariana dit donc au chapitre IV, que de la liberté d’avoir ses propres opinions sont procédées plusieurs et ordinaires brouilleries avec les pères dominicains, qu’il déclare, que les jésuites auraient mieux fait de reconnaître pour maîtres. Il ajoute, qu’à l’occasion d’un livre qu’écrivit le père Molina sur le sujet de la grâce et du franc arbitre, ces pères s’altérèrent bien fort, recoururent à d’inquisition, et de là à Rome, là où il dit, qu’encore au temps qu’il écrivait, le procès continuait, et se menait avec beaucoup d’opiniâtreté et de passion, et que quand bien les jésuites en sortiraient victorieux, ce qui était encore fort douteux, il leur aurait toujours coûté plusieurs milliers, et l’inquiétude de plusieurs années. » Je laisse les autres extraits du même livre qui se trouvent dans l’ordonnance de ce prélat. Mais voyons ce que les jésuites lui répondirent [* 1]. Ils alléguèrent d’abord deux ou trois raisonnemens, et puis ils parlèrent de cette manière [1]. « Mais, Monseigneur, sans tant raisonner, je dois vous le dire, ce livre ne méritait pas l’honneur d’être cité dans la pastorale d’un grand archevêque. En voici l’histoire en deux mots, telle que la racontent nos ennemis, dont cependant je ne prétends pas me faire la caution. Ce manuscrit fut enlevé à Mariana, disent-ils, lorsqu’il fut mis en prison à Madrid, pour un autre livre qu’il avait fait contre le changement des monnaies, et dont les ministres d’Espagne, surtout le duc de Lerme, se tinrent fort offensés. La chose arriva en 1609 ou 1610. Il paraît par-là que les ennemis des jésuites gardèrent le manuscrit durant quinze ou seize ans : c’est-à-dire pendant tout le reste de la vie de Mariana, qui aurait pu s’inscrire en faux, ou à raison de la supposition d’un tel ouvrage, ou contre les falsifications qu’on y avait faites. Il ne fut imprimé qu’en 1625, incontinent aprés la mort de ce père, qui mourut en 1624, âgé de près de quatre vingt-dix ans. Cette seule circonstance rend ce livre très-suspect, et on traite de supposés des livres pour des raisons moins fortes. Ceux qui firent imprimer, ne le firent que pour décrier notre compagnie : peut-on douter qu’ils n’y aient du moins changé et ajouté beaucoup de choses ? Mais ce qui ne laisse nul lieu de douter de la fourberie, c’est qu’on n’en a jamais produit l’original, ni marqué le lieu où il était, quoique les jésuites de ce temps-là se fussent d’abord inscrits en faux. De fait, l’endroit même qui est cité dans la pastorale est tellement contraire aux idées de Mariana sur la matière de Auxiliis, qu’il faudrait le croire fou pour s’imaginer que cela soit de lui. On lui fait dire en cet endroit, que les jésuites auraient mieux fait dans les Controverses sur la grâce [* 2], de reconnaître les dominicains pour maîtres, que de se brouiller avec eux : [* 3] et Mariana dans son ouvrage intitulé : De morte et Immortalitate, qu’il écrivait dans la plus grande chaleur de ces disputes, ainsi que lui-même le marque, prend si fort le contre-pied de la doctrine des thomistes, que Molina ne le ferait pas davantage. » Voyez la note [2].

(N) Ses scolies sur l’Écriture ont mérité l’approbation du père Simon. ] « Les scolies ou notes de Mariana, sur le Vieux Testament, peuvent aussi être très-utiles pour l’intelligence du sens littéral de l’Écriture, parce qu’il s’est appliqué principalement à trouver la signification propre des mots hébreux. C’est ainsi qu’au commencement de la Génèse, il a remarqué judicieuse-

  1. * Leclerc dit que ce fut le père Daniel qui fit la Remontrance dont Bayle donne le titre dans sa note (88).
  2. (*) Pag. 57.
  3. (*) Mariana, Opuscula, pag. 415, 416, 430, 431, etc.
  1. Remontrance à monseigneur l’archevêque de Reims, pag. m. 157 et seq.
  2. Colomiés, Bibliothéque choisie, pag. 374 de la seconde édition, observe que nous devons à Auger de Mauléon, sieur de Granier, le Traité du père Mariana touchant la réformation du gouvernement des jésuites, traduit en français. Voyez, touchant ce M. Granier, l’Histoire de l’Académie française, pag. m. 225.