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MARIANA.

péril du roi et de la reine, tandis que les maudits livres de Mariana et autres auraient cours parmi les hommes : ce qu’entendu par l’évêque il le renvoya, après l’avoir doucement admonesté de vivre en amitié avec tous les autres serviteurs de Dieu, et surtout avec les jésuites ; et de continuer à prêcher l’obéissance due au roi et à la reine, et à louer les hauts mérites du feu roi, sans offenser personne [1].

(L) Le livre où il remarque les défauts du gouvernement de sa compagnie. ] Pendant que le duc de Lerme le détenait en prison pour les causes dont j’ai parlé ci-dessus [2], tous ses papiers furent épluchés par François Sosa, évêque d’Osma, et conseiller d’état, qui eut ordre d’abolir tous les manuscrits qu’il y trouverait, où la négligence du roi, et les ruses du duc de Lerme seraient critiquées. Cet évêque trouva un livre écrit de la propre main de Mariana, del Govierno de la Compania de Jesus, où l’auteur représentait les malheurs funestes dont la compagnie était menacée, si elle ne corrigeait les désordres de son gouvernement : sur quoi il suggérait de fort bons conseils. L’évêque d’Osma ne fit point difficulté de donner à lire ce manuscrit à ses amis, et de leur en laisser tirer des copies. De là vint que cet ouvrage tomba entre les mains de quelques personnes [3] qui l’envoyèrent en France, en Allemagne et en Italie. Un libraire français le fit imprimer, non-seulement en espagnol, qui était la langue de l’original, mais aussi en latin, en français et en italien [* 1]. Dès qu’il eut été porté à Rome, le jésuite Floravanti, confesseur D’Urbain VIII, le lut, et s’écria, heu ! heu ! actum est de nobis jesuitis, quandò nimis vera sunt quæ liber hic cantat. Le général des jésuites n’épargna rien pour obtenir la condamnation de ce livre, et cela lui fut enfin accordé l’an 1631 [4]. L’auteur que je cite allègue quelques endroits de cet ouvrage de Mariana. Vous le trouverez tout entier en espagnol et en français dans le IIe. tome du Mercure Jésuitique, imprimé à Genève, l’an 1630, et vous en verrez tout le VIe. chapitre dans les Arcana societatis Jesu, imprimés au même lieu, l’an 1635. Le père Alegambe n’a pu se taire sur ce livre de Mariana. Voyons de quelle façon il en parle : Circumfertur prætereà hispanicè, gallicè, italicè, latinè excusus Discursus de erroribus, qui in formâ gubernationis societatis Jesu occurrunt, constans 20 capitibus. Burdigalæ per Johannem de Bordeos mdcxxv, in-8o. et alibi. Sed is clam illi subductus, à malevolo quopiam ad conciliandam societati invidiam extrusus in lucem est : adjectis etiam fortassè non paucis, ut pronum est existimare, ab ipsius observationibus atque animo alicuis [5]. Conringius s’est fort trompé, quand il a dit que Mariana avait publié lui-même ce livre. Tantam libertatem sibi assumpsit, ut et libellum ediderit de membris [6] societatis, quem licet supprimerent jesuitæ, tamen in mediâ Româ editum esse constat : rarissimus hodiè est inventu [7]. J’ai de la peine à croire qu’on l’ait imprimé à Rome, quoi qu’en dise Conringius.

(M) Les jésuites ne demeurent pas d’accord que Mariana soit l’auteur d’un pareil écrit. ] Cela parut dans une affaire qu’ils eurent l’an 1695, et qui fit beaucoup de bruit. M. l’archevêque de Reims publia une ordonnance [* 2] fort docte le 15 de juillet de cette année-là, contre deux thèses qui avaient été soutenues par les jésuites de Reims, et se servit du traité de Jean Mariana des Choses qui sont dignes d’amendement [* 3] en la compagnie des Jésuites [8]. Il dit [9] que cet auteur espagnol, qui vivait

  1. * Leclerc observe que M. Simon soutient que ce livre n’a jamais été imprimé en latin.
  2. * Leclerc dit que cette ordonnance était en partie de Witasse, docteur et professeur de Sorbonne.
  3. (*) Lisez donc mendis dans Conringius, et non pas ni moribus ni morbis. Rem. crit.
  1. Mercure Français, tom. I, folio 493.
  2. Dans la remarque (E).
  3. Et nommément entre les mains de Nicolas Ricardius, dominicain, surnommé le Monstre, à cause de son grand esprit et de sa grande doctrine. Bernardin. Giraldus, ubi infrà.
  4. Tiré de Bernardin Giraldus, Apologia pro Senatu Veneto, pag. m. 104 et seq.
  5. Alegambe, pag. 258, col. 2.
  6. Il faudrait peut-être lire moribus ou morbis.
  7. Conringius, de Regno hispan., apud Pope Blount, Censura Autorum, pag. 614.
  8. Ordonnance de Charles Maurice le Tellier, pag. 55, édit. de Delft, 1698.
  9. Là même, pag. 57.