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MARIANA.

conformément au concile de Constance. Et si l’autorité du révérend père général doit être alléguée à ce propos, n’est-elle pas plus considérable en la permission qu’il a donnée au grand nombre d’auteurs, d’imprimer ce que dessus, qu’en celle qu’on lui reproche d’un seul Mariana [1] ? »

Ce qu’il y a de surprenant dans ces paroles, est que le père Coton avoue que le général Aquaviva approuva le livre de Mariana, et en permit l’impression. Or c’est ce qui ne paraît point à la tête de cet ouvrage : on n’y trouve si ce n’est que le père visiteur, chargé d’une commission spéciale du général, permet que le livre de Mariana soit imprimé. Cela prouve seulement que le général Aquaviva avait commis ce visiteur à la charge particulière de permettre ou de défendre l’impression des livres composés par des jésuites : en conséquence de quoi ce visiteur consentit que Mariana publiât son livre. Mais ce n’est pas à dire que le général ait su, ni que Mariana avait écrit de Institutione Principis, ni que ce livre contenait une doctrine pernicieuse. Il y a des censeurs de livres dans tout pays, qui exercent cette charge par l’autorité du prince, ou par celle des évêques, etc. S’ils approuvent une hérésie, en faut-il conclure que le prince, ou que le prélat, dont ils ont reçu leur commission, approuve cette hérésie ? Nullement, à moins qu’on ne sache ou qu’ils ont communiqué à leur maître le manuscrit, avant que de l’approuver, ou que leur approbation a été ratifiée. Il est bien étrange que ni le père Coton, ni le père Richeome [2], n’aient pu se servir de cette raison. Leur confrère Eudémon Johannes n’eut point la berlue comme eux à cet égard. Voici ce qu’il répondit à l’auteur de l’Anti-Coton : pag. 15. Affirmas Marianæ librum à generali societatis atque à provinciali Toletano approbatum fuisse : pag. 23 Apologiam meam pro Henrico Garneto editam esse cum approbatione præpositi generalis. Utrumque mendacium est. Nam moderatores nostri libros non recognoscunt ipsi : sed aliis tradunt recognoscendos ; qui si eos probaverint, tum demùm potestatem edendi faciunt....... Neque difficilis est forma diplomatis, quod legitur in libro Marianæ, cujus edendi potestatem generalis non fecit, sed visitator, non, ut tu scribis provincialis, cui partes in eâ re suas generalis delegârat, ut si liber is designatis eam ad rem theologis probaretur, imprimendi ejus facultatem dare posset [3]. Le véritable moyen de rendre complice Aquaviva des dogmes affreux de Mariana, serait de prouver qu’après avoir su ce que son subdélégué, ou son commissaire avait permis d’imprimer, il en fut content, et qu’il consentit que Mariana laissât dans son livre tout ce qui s’y rencontrait. Mais les jésuites donnèrent bon ordre qu’on ne pût les prendre par cet endroit-là. Ils firent savoir au public [4] que leur père général étant averti par Richeome, l’an 1599, et par leurs pères de France, commanda que le livre de Mariana fût corrigé, et n’en eût-on vu, dirent-ils [5], aucun exemplaire sans correction, si les hérétiques qui en pensaient faire leur profit, ne l’eussent aussitôt réimprimé. Ils publièrent un fragment de lettre d’Aquaviva sur ce sujet [6], et même le mandement général qu’il envoya à tous les colléges des jésuites, par lequel il leur défendait de publier et d’enseigner aucune doctrine qui tendît en quelque manière à la ruine des souverains [7]. Præpositus generalis cùm de Marianæ libro à patribus provinciæ Franciæ accepisset, respondit, primum collaudare se studium, judiciumque provinciæ ; deindé ægerrimé tulisse, quòd libri ii antè emissi essent, quam ejus rei quicquam ad se deferretur. Cæterùm, et ubi primùm rem accepisset, mandâsse uti corrigeretur et sedulò daturum operam, ne quid ejusmodi in posterum accideret. Neque eo contentus (cogit

  1. Coton, Réponse apologétique, pag. 35, 36.
  2. Richeome, Examen catégorique du libelle Anti-Coton, chap. XIX, pag. 168, 169.
  3. Eudæmon Johannes, in Confutatione Anti-Cotoni, pag. 52.
  4. Richeome, Examen catégorique de l’Anti-Coton, pag. 163.
  5. Là même.
  6. Voyez ci-dessus, citation (53), et la page précédente, citation (*2).
  7. Eudæmon Johannes, in Confutatione Anti-Coton., cap. I, pag. 39.