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MARIANA.

qui fut brûlé à Paris, par arrêt du parlement, à cause de la pernicieuse doctrine qu’il contenait. Il n’y a rien de plus séditieux, ni de plus capable d’exposer les trônes à de fréquentes révolutions, et la vie même des princes au couteau des assassins, que ce livre de Jean Mariana (G). Il exposa les jésuites [* 1], et surtout en France, à mille sanglans reproches (H), et à des insultes très-mortifiantes, que l’on renouvelle tous les jours, qui ne finiront jamais, que les historiens copieront passionnément les uns des autres, et qui paraissent d’autant plus plausibles, qu’il fut imprimé avec de bonnes approbations (I). On publia que Ravaillac y avait puisé l’abominable dessein qu’il exécuta contre la vie d’Henri IV, et qu’il l’avait avoué dans son interrogatoire. Ce fait fut contredit publiquement (K). Un autre traité du même jésuite a fait bien du bruit : c’est celui où il remarqua les défauts du gouvernement de sa compagnie (L), mais ses confrères ne demeurent pas d’accord qu’il soit l’auteur d’un pareil écrit (M). Ses scolies sur l’Écriture ont mérité l’approbation du père Simon (N). J’ai oublié de marquer que le mal qu’il dit du roi Henri III fut cause en partie que son ouvrage de l’institution du prince fut condamné à Paris (O).

Je doute qu’il ait fait le livre de Republicâ Christianâ, qu’un écrivain allemand loue beaucoup (P).

  1. * On lit dans l’édition de 1697 : Il a exposé les Jésuites à mille sanglans reproches que l’on renouvelle, etc.

(A) Il mourut le 13 février 1624, âgé de quatre-vingt-sept ans. ] Don Nicolas Antonio, qui avait lu tout cela dans Alegambe, n’a pas laissé d’assurer [1] que Mariana mourut le 17 de février 1623, âgé de quatre-vingt-dix ans. Sur cela je me fie plus aux deux jésuites qui ont compilé la bibliothéque de l’ordre, qu’à lui, ni qu’à Bernardin Giraldi [2], qui assure que Mariana mourut l’an 1632, âgé de quatre-vingt-seize ans. Jesuitarum quos ætas nostra vidit, annosissimus, qui abhinc biennium piè obiit diem suum nonaginta sex annos natus.

(B) De son côté il eut besoin d’être patient. ] Si j’avais pu consulter sa Vie [3] composée par Thomas Thomaius [4] de Vargas, historiographe du roi d’Espagne, j’aurais pu sans doute donner ici quelque détail des persécutions que Mariana eut à souffrir ; mais je n’en puis dire que ces paroles des deux bibliothécaires des jésuites : Ipse vicissim multa perpessus adversa, admirabili animi æquitate, et omnium virtutum documento se malis superiorem esse probavit. Exercitum senectutem Toleti produxit usquè al diem xvii februarii anni Domini mdcxxiv [5]. Ajoutez à ce passage ce qu’ils nous diront ci-dessous, quand je parlerai du livre du Changement des Monnaies [* 1].

(C) Ce qu’on remarque de sa chasteté est tout-à-fait singulier. ] Ceux qui ont lu les nouvelles lettres du critique de M. Maimbourg y auront vu cette singularité exprimée de cette manière [6] : « Vous n’êtes point gens à croire cela, ni peut-être ce que le père Alegambe témoigne du jésuite Mariana, mort l’an 1624, aprés avoir vécu près de quatre-vingt-dix ans dans l’étude la plus exacte de la chasteté ; d’où est venu peut-être, ajoute l’historien, que

  1. * Voyez la remarque (E).
  1. Nicol. Anton., Biblioth. hispan., t. I, p. 561.
  2. Bernardinus Giraldus Patavinus, in apolog. pro Senatu Veneto, datée de Padoue, le 1er. de décembre 1634.
  3. Alegambe et Sotuel en font mention dans l’article de Mariana. Don Nicolas Antonio n’en parle point dans la longue liste qu’il a donnée des écrits de ce Thomaius, imprimés et à imprimer. Il le nomme Tamajus.
  4. M. Teissier, Biblioth. Bibliothec., pag. 308 et 385, le nomme Tamæus.
  5. Alegambe, pag. 258, Sotuel, pag. 477.
  6. Nouvelles Lettres, pag. 685.