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MARESTS.

ceux qui veulent s’y enrôler le peuvent faire par son moyen ; et c’est à quoi les Avis du Saint Esprit sont particulièrement destinés. Il faut, dit-il, faire part de ces saints avis à tout le monde, afin d’animer plusieurs âmes fidèles à s’offrir à Dieu comme victimes, pour être de cette sainte armée. Et comme c’est la coutume de faire prêter le serment aux soldats, le sieur des Marests en a dressé un pour ceux qui composeront son armée, qu’il a fait imprimer à la fin de ces avis, sous le titre d’Union et vœu de chaque chevalier ou soldat de l’armée de Jésus-Christ. Il leur a même prescrit un exercice pour la journée, dans lequel il paraît que ces gens sont tous Chevaliers de l’infaillibilité du Pape. » Il a prédit aussi tous les exploits que cette armée doit faire. Car il marque expressément qu’elle doit emporter la victoire sur les ennemis de Dieu, par la destruction des impiétés et des hérésies ; et qu’alors on verra un nombre innombrable de toutes sortes de nations et de peuples s’unir à l’église, qui seront en oraison devant le trône de Dieu en eux mêmes [1]. Et tout cela doit arriver sous le règne de Louis XIV, qui sera le Josué de cette armée, c’est-à-dire le chef et le général, conduisant et animant les troupes, et combattant valeureusement avec elles, sous la conduite invisible des quatre princes des bandes célestes, saint Michel, saint Gabriel, saint Raphaël, et saint Uriel [2].

L’auteur janséniste fait une réflexion trop judicieuse pour ne devoir pas être rapportée. Je veux croire, dit-il [3], que le sieur des Marests n’a point encore dessein de faire prendre les armes de rébellion à ses victimes, et que son armée est encore toute spirituelle et toute extatique ; mais il ne sait pas lui-même ce qu’il voudra demain, parce qu’il ne sait pas à quoi son imagination se portera, ni ce qu’elle lui découvrira dans l’Apocalypse. Un homme comme lui, qui prend toutes ses pensées pour des révélations de Dieu, ne peut plus répondre de soi-même. Les figures de l’Apocalypse changent souvent dans sa tête, et elles signifient tantôt une chose, et tantôt une autre, et toujours par inspiration de Dieu. On donne là quelques exemples des variations qui avaient déjà paru dans sa doctrine prophétique. Voyez toute la cinquième lettre de ce janséniste : elle expose tant de chimères du sieur des Marests, que pour comprendre qu’un homme ait pu se remplir de tant de visions, sans perdre cette partie du bon sens qui empêche de courir les rues [4], il faut entrer dans la réflexion qu’un bel esprit a fortifiée d’exemples. C’est une des misères humaines, dit-il [5] ; la raison et le bon sens sont quelquefois renversés et détrônés, pour parler ainsi, en une de leurs provinces, et demeurent maîtres dans les autres, où l’effort d’une imagination violente ne s’est point dressé. Consultez l’article Tulénus. Nous allons voir quelques autres traits du fanatisme de Saint-Sorlin.

(F) Il promettait au roi de France......... l’avantage de ruiner les mahométans. ] « Ce qui relève les prophètes est premièrement la grandeur des événemens qu’ils prédisent, et en second lieu la clarté avec laquelle ils expriment les circonstances particulières, qui font voir que ce sont de véritables prophéties, et non pas des discours en l’air, parmi lesquels il se pourrait rencontrer par hasard quelque chose qui sera conforme à l’événement. C’est ce que le sieur des Marests a soin d’éviter sur toutes choses. Il n’use point d’un langage obscur et énigmatique. C’est le plus clair des prophètes. Il semble qu’il nous conte une histoire du temps passé. Il en marque le temps, le lieu, les circonstances, en termes précis et

  1. Visionnaires, lettre II, pag. 282.
  2. Là même, pag. 283.
  3. Là même, pag. 286.
  4. Le visionnaire dont parle Horace était ainsi fait : il ne courait point les rues ; il était même raisonnable en plusieurs choses.

    Cætera qui vitæ servaret munia recto
    More, bonus sanè vicinus, amabilis hospes,
    Comis in uxorem, posset qui ignoscere servis,
    Et signo læso non insanire lagenæ :
    Posset qui rupem et puteum vitare patentem.
    Horat., epist. II, lib. II, vs. 131.

  5. Pelisson, Chimères de M. Jurieu, IIe. partie, sect. II, pag. 69, édition de Hollande.