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MARCIONITES.

sages remontrances, porta les choses à la douceur, et fit convenir Archélaüs de conférer paisiblement avec cet hérésiarque. On ne me croirait pas peut-être, si je ne citais le grec. Citons-le donc. Ὁ δὲ Ἐπίσκοπος Ἀρχέλαος ἔχων ἐν ἑαυτῷ μετὰ τὸν λόγον καὶ τὸ ζηλωτικὸν τῆς πίστεως, ἐβουλεύετο, εἰ ἦν δυνατὸν, ἐξ αὐτῆς τὸν ἄνδρα ὥσπερ πάρδαλιν, ἢ λύκον, ἤ τι ἕτερον τῶν θηρίων ἀγρεύσας, θανάτῳ παραδοῦναι, ἱνα μὴ λυμανθῇ τὰ θρέμματα, τοιούτου θηρὸς, [ἐφ’ ὁδοῦ] τὴν εἳσοδον κατανοῶν. Ὁ δὲ Μάρκελλος τῇ μακροθμίᾳ μᾶλλον ἠξέου, καὶ ἀνεξικάκως τὸν πρὸς αὐτὸν διάλογον ἀπ’ αὐτοῦ γενέσθαι. At Archelaüs episcopus præter doctrinam, fidei insuper ardore præditus, author erat ut, si fieri posset, homo ille, pardi instar ac lupi, vel cujusvis alterius bestiæ, interceptus morti traderetur, ne ejusmodi feræ incursione pecora læderentur, cùm illius ingressum cognosceret. Marcellus contrà patienter ac leniter potiùs illum in colloquio tractandum putabat[1]. Ceci fait voir que, sous prétexte que les orthodoxes n’avaient point de tribunaux pendant les trois premiers siècles, il ne fallait pas conclure si magistralement que les hérétiques ne pouvaient pas se vanter d’avoir des martyrs. Toutes les communions s’accordent à honorer de ce titre quelques-uns de ceux qui périssent pour leur religion, par les attentats de la populace. 11°. Enfin je remarque que M. Ferrand ne devait pas être insulté sur les longs extraits d’Optat et de saint Augustin, qui prouvent la maxime causa non pœna facit martyrem ; car il a fallu qu’il les donnât pour satisfaire au défi de l’apologiste ; et, pour en montrer la témérité, voici la teneur de ce défi encore une fois[2] : « Mais afin que ce déclamateur ne nous échappe pas, nous le prions, s’il veut quitter le siècle des marcionites, de nous indiquer quels hérétiques sont morts en foule pour soutenir l’hérésie, et quand cela est arrivé ; car pour nous, qui ne savons rien de l’histoire que ce que les livres nous enseignent, nous ne trouvons point ces siècles, nous ne rencontrons pas cette foule d’hérétiques qui meurent pour l’erreur. Nous savons seulement que dans le IVe. siècle quelques évêques orthodoxes ont poursuivi jusques à la mort certains hérétiques espagnols. » Ce défi contient manifestement cette thèse, dans les quatre premiers siècles il n’y a point eu d’autres martyrs hérétiques que quelques priscillianistes. On lui a fait voir le contraire par de longues citations. Qu’y a-t-il après cela de plus ridicule que de se moquer de ces longs extraits, et que de dire qu’ils ne sont point à propos, et que l’on ne nie point qu’il n’y ait eu des hérétiques qui soient morts pour leur hérésie ; et qu’il ne s’agissait point de savoir s’il est possible que des hérétiques meurent pour l’hérésie[3], mais s’il est possible qu’ils le fassent dans les circonstances qu’il articule, cinq en nombre ? Il est manifeste que son défi ne contient quoi que ce soit de ces circonstances, de sorte que cet auteur est notoirement convaincu d’avoir agi de mauvaise foi. Il défie qu’on lui prouve une telle chose, et quand il voit qu’on la prouvée démonstrativement, il se plaint de la longueur de la preuve, et dit qu’il n’était point question de cela, mais d’une autre chose. Ce qui étonne le plus est de voir qu’un homme, qui s’est tant mêlé de controverse, ait osé porter un défi tel que celui-là : vu que presque tous les controversistes romains, à qui l’on allègue le martyrologe des protestans, répondent que les anciens hérétiques se glorifiaient de la même chose. Je ne citerai qu’un jésuite qui a écrit contre Pierre du Moulin, et que ce ministre et André Rivet ont réfuté. Vetus delirium hæreticorum est, dit-il[4], ecclesiam catholicam in martyrum censu æmulari velle. Ita de marcionitis et de cataphrygibus seu montanistis scribit [* 1] Apollinaris Episcopus Hierapoleos, antiquissimus theologus ; ipsos, cùm omnia quæ pro se attulerant argumenta, fuissent rationibus consentaneis rejecta, ad martyres confugisse, et ad propheticum illorum spiritum.

  1. * Apud Eusebium, hist., l. 5, cap. 15.
  1. Epiph. adv. Hæres, num. 66, pag. 625.
  2. Jurieu, Apologie pour les Réformateurs, tom. I, pag. 172.
  3. Jurieu, Système de l’Église, pag. 645.
  4. Silvester Petra sancta, in Notis in epistolam Petri Molinæi ad Balzacum, pag. 36, 37.