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MARCIONITES.

combattaient, et qui se moquaient de ceux qui le souffraient. Si je ne faisais profession de bannir de cette dispute les termes offensans, je pourrais dire à l’apologiste qu’il est tombé dans l’ignorance qu’il reproche à son adversaire. Mais je rétracte le mot d’ignorance : et je veux non-seulement en employer un plus doux, mais je voudrais même pouvoir trouver une autre expression que celle dont je suis obligé de me servir, en lui disant qu’il s’est trompé. En voici la preuve.[* 1] Eusèbe dit qu’un de ceux que Dieu suscita pour écrire contre les phrygistes, avait combattu, dans son troisième livre, ceux qui se vantaient d’avoir eu plusieurs martyrs parmi eux. Après qu’ils ont été convaincus, (disait cet anonyme), dans tous les points dont j’ai parlé, et qu’ils n’ont plus rien à répondre, ils tâchent de se retrancher sur les martyrs, assurant qu’ils en ont plusieurs ; et que cela prouve évidemment la puissance de l’esprit prophétique qu’ils disent avoir dans leur parti. Mais ils se trompent à mon avis ; car les sectateurs des autres hérésies se vantent aussi d’avoir plusieurs martyrs : et cependant nous n’entrons pas dans leur sentiment ; et nous n’avouerons jamais que la vérité est de leur côté. Les marcionites disent qu’ils ont plusieurs martyrs de Jésus-Christ ; mais cela n’empêche pas qu’ils ne soient d’une religion contraire à celle de Jésus-Christ. Je pourrais remarquer encore contre l’apologiste, que les marcionites ne régnèrent pas tellement dans le second et dans le troisième siècle, qu’il n’y en eût encore dans le quatrième, puisque saint[* 2] Épiphane nous parle d’une dispute qu’il eut avec un marcionite[1]. Mais je passe cette minutie pour venir à quelque chose de plus considérable[2]… Si l’on peut (comme on le peut certainement) appeler mourir pour l’hérésie, lorsqu’on s’expose au martyre en vue de la relever, nous ne serons pas en peine d’indiquer d’autres martyrs que ceux des marcionites, en alléguant les phrygistes dont l’anonyme d’Eusèbe a fait mention. Plusieurs de ces hérétiques s’exposaient au martyre ; et ils le souffraient dans l’esprit que j’ai marqué, comme il paraît par l’anonyme qui combat leur hérésie. Saint[* 3] Augustin raconte que, dans le temps qu’on adorait encore publiquement les idoles, on voyait aux solennités des païens, de grandes troupes de donatistes se jeter tête baissée au travers de ces idolâtres pour se faire tuer par leurs adorateurs. Voilà des hérétiques qui courent en foule à la mort. »

IV. Il est juste d’entendre ce que M. Maimbourg répliqua lui-même[3]. « Monsieur Ferrand s’est contenté de lui faire connaître, le plus honnêtement du monde, qu’il s’est trompé dans tous ses chefs. Car premièrement il lui montre que je n’ai jamais dit, ni prétendu, que les marcionites aient été envoyés au supplice par les chrétiens, mais bien par les persécuteurs païens. Secondement, que les marcionites n’ont pas été seulement dans le second et le troisième siècle sous les empereurs païens, mais aussi dans le quatrième, comme il le prouve par saint Épiphane[* 4] : et moi je dis, comme on a déjà vu en cette histoire, qu’il y en avait encore dans le sixième sous les empereurs chrétiens, lorsque, selon les lois[* 5] et constitutions impériales, on punissait de mort les hérétiques. En troisième lieu, il lui fait voir que les marcionites et plusieurs autres hérétiques couraient au supplice pour soutenir et pour honorer leur secte par un prétendu martyre, ainsi que je l’ai dit. C’est ce qu’il lui apprend par des témoignages très-convaincans, et surtout par celui d’Eusèbe, afin qu’il sache que ce qu’il nous dit hardiment qui ne par-

  1. (*) Lib. V, cap. 16, pag. 182, C. D., pag. 183. A. edit. Gr. Lat., Paris, 1658.
  2. (*) Hæres. 48, num. 2, pag. 403.
  3. (*) Epist. 50, antè med.
  4. (*) Hæres. 48, n.  2.
  5. (*) Cod., lib. 1, leg. 5, 11, 12.
  1. Appliquez à M.  Ferrand ce qui a été observé touchant Lambert Daneau, ci-dessus, citation (21).
  2. Ferrand, Réponse à l’Apologie pour la Réformation, pag. 217.
  3. Maimbourg, Histoire du Pontificat de saint Grégoire, liv.  IV, pag. 427, édition de Hollande.