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MARCIONITES.

que Tertullien se serait trompé, s’il avait dit que le papat d’Éleuthère, et l’empire d’Antonin Pius, ont été en même temps. 2°. C’est une faute de chronologie, que de mettre le pontificat d’Anicet sous Antonin Pius ; car Anicet ne commença de siéger que cinq ans après la mort de cet empereur[1]. 3°. Clément d’Alexandrie ne dit pas que Valentin vécût encore sous l’empereur Marc-Aurèle : il se contente de dire que Basilides et Valentin ayant commencé de répandre leurs erreurs sous Hadrien, ont vécu jusques au règne du premier des Antonins. 4°. Bien loin de dire que Marcion dans sa jeunesse vit Valentin dans sa vieillesse, il assure que Marcion conversait avec ces autres hérétiques, comme un vieillard avec de fort jeunes gens[2].

(B) Il ne put jamais être reçu à Rome à la communion… Ce refus l’obligea à s’ériger… en chef de parti. ] Je tromperais mes lecteurs, si je laissais ces paroles sans commentaire ; et j’aurais beau dire que saint Épiphane, les ayant trompés tout le premier, je ne m’en devais pas faire un grand scrupule : on ne se paierait pas d’une si mauvaise apologie. Faisons donc voir en quoi consiste le défaut de la narration de saint Épiphane. Il n’y a personne qui, après avoir lu ce père, ne se persuade que jamais l’église de Rome n’admit Marcion à sa communion, et que les conducteurs de cette église lui ayant dit : Nous ne pouvons vous admettre sans la permission de votre père qui vous a excommunié, il les menaça d’un schisme, et leur tint parole. Τί μὴ ἠθελήσατέ με ὑποδέξασθαι ; τῶν δὲ λεγόντων, ὅτι οὐ δυνάμεθα ἄνευ τῆς ἐπιτροπῆς τοῦ τιμίου πατρός σου τοῦτο ποιῆσαι. Μία γὰρ ἐστιν ἡ πίστις, καὶ μία ὁμόνοια, καὶ οὐ δυνάμεθα ἐναντιωθῆναι τῷ καλῷ συλλειτουργῶ, πατρὶ δὲ σῷ. Ζηλώσας λοιπὸν, καὶ εἰς μέγαν ἀρθεὶς θυμὸν καὶ ὑπερηφανίαν, τὸ σχίσμα ἐργάζεται ὁ τοιοῦτος, ἑαυτῷ τὴν αἵρεσιν προστησάμενος καὶ εἰτών· Ὅτι ἐγὼ σχίσω τὴν Ἐκκλησίαν ὑμῶν, καὶ βαλῶ σχίσμα ἐν αὐτῇ εἰς τὸν αἰῶνα. Ὥς τάληθῆ μὲν σχίσμα ἔβαλεν οὐ μικρὸν, οὐ τὴν Ἐκκλησίαν σχισας, ἀλλ’ ἑαυτὸν καὶ τοὺς αὐτῷ πεισθέντας. Cur me, inquit, recipere noluistis ? Responderunt illi : Nobis injussu venerandi patris tui facere istud non licet. Una siquidem fides est, et animorum una consensio : neque contrà spectatissimum collegam patrem tuum moliri quippiam possumus. At ille vehementiùs excandescens, ac superbiâ invidiâque percitus schisma conflavit, ac privatam hæresin architectatus est : et ecclesiam, ait, vestram ego dissociabo, in eam schisma sempiternum immittam. Quod ille reverâ nec mediocrè quidem injecit : non ita tamen ut ecclesiam, sed ut se potiùs ac suos discinderet[3]. Si saint Épiphane avait consulté Tertullien, il aurait su que Marcion fut chassé diverses fois de la communion des orthodoxes[4] ; marque évidente qu’ils s’étaient payés plus d’une fois des protestations qu’il leur avait faites de renoncer à ses erreurs, et qu’ils l’avaient réuni à leur église. Peut-être même que si la mort ne l’eût prévenu, il eût tâché de satisfaire à la condition que l’on exigea de lui la dernière fois qu’il fit paraître sa repentance : on voulut qu’il désabusât ceux qu’il avait débauchés de la vraie foi. Postmodùm Marcion pœnitentiam confessus, cùm conditioni datæ sibi occurrit, ita pacem recepturus : si cæteros quoque quos proditioni erudîsset ecclesiæ restitueret morte preventus est[5]. Il y a des gens[6] qui disent qu’après avoir été chassé de l’église avec son argent, il s’agrégea à la secte des cerdonites ; ce qu’ils prouvent par les passages où Tertullien et Philastrius assurent qu’il fut disciple de Cerdon. Je crois qu’ils confondent les temps ; car l’expulsion dont ils parlent fut la dernière, et se fit sous Éleuthère[7] : or il n’y a nulle apparence que Cerdon fût encore en vie.

(C) Il s’appliqua à l’étude de la philosophie. ] J’ai suivi la pensée d’un

  1. Voyez Baronius, ad ann. 167.
  2. Μακρίων γὰρ κατὰ τὴν αὐτὴν αὐτοῖς ἡλικίαν γενόμενος, ὡς πρεσβύτης, νεωτέροις συνεγένετο. Marcion enim cùm natus esset eâdem, quâ ipsi, ætate, versabatur ut senex cum junioribus. Clemens Stromat., lib. VII, pag. 764, D.
  3. Epiph. advers. Hæres., pag. 303.
  4. Voyez, ci-dessus, citation (4), les paroles de Tertullien.
  5. Tertullian., de Præscript., cap. XXX.
  6. Joh. Rodolphus Wetstenius, Notis in Orig. contra Marcionitas, pag. 4.
  7. Voyez Tertullien, ci-dessus, citat. (4).