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MANICHÉENS.

égale vigilance contre ces ennemis communs ; et que ceux qui croyaient qu’il ne fallait pas les découvrir seraient coupables d’un silence très-criminel devant le tribunal de Jésus-Christ, quoiqu’ils n’aient jamais eu aucune part à leurs erreurs. Enfin il apporta tant de soin dans la recherche qu’il fit des manichéens, et le peuple l’y seconda si bien, qu’aucun d’eux ne leur put échapper, de sorte qu’il eut le bonheur de délivrer entièrement Rome de cette peste. Car plusieurs de ces hérétiques, fortement touchés de ses puissantes exhortations, se convertirent sérieusement à Dieu ; et après avoir fait publiquement abjuration de leur hérésie dans l’église[* 1], et signé le formulaire qu’en leur présenta, contenant la condamnation de Manès, de sa doctrine et de ses livres, ils se soumirent à la pénitence qui leur fut imposée. Ceux qui demeurèrent obstinés dans l’erreur, et refusèrent de souscrire à cette condamnation, furent condamnés par les juges au bannissement, selon les lois et les ordonnances des empereurs. Or parce que les plus méchans, et les plus dangereux d’entre les sectateurs de cette exécrable hérésie, craignant la punition de leurs crimes, avaient pris la fuite, il en avertit les évêques d’Italie et des autres provinces, par une lettre circulaire, dans laquelle, après leur avoir exposé tout ce qui s’était fait à Rome en cette cause des manichéens, il les exhorte à poursuivre ces fugitifs, et à donner tous les ordres nécessaires pour empêcher qu’ils ne puissent trouver aucune retraite dans leurs diocèses, protestant qu’ils seront inexcusables devant Dieu[* 2], s’il arrive jamais qu’aucun de leurs sujets se laisse séduire à ces imposteurs, faute d’avoir pris tout le soin qu’ils doivent avoir de les découvrir, de leur donner la chasse, et de faire en sorte qu’ils ne puissent répandre parmi leurs peuples le venin de leur détestable doctrine. Et ce qui acheva d’exterminer cette hérésie fut que l’empereur Valentinien III, ayant su ce que le saint pape avait découvert des crimes des manichéens, fit publier un édit[* 3], par lequel il confirme et renouvelle toutes les ordonnances de ses prédécesseurs contre eux, les déclare infâmes, incapables de toutes charges, et de porter les armes, de tester et de contracter, et de faire aucun acte valable dans la société civile ; défend à tous les sujets de l’empire d’en céler et d’en retirer aucun, et veut qu’on les dénonce, pour être punis aussitôt qu’ils seront connus. Ainsi cette hérésie, qui de l’Afrique était passée dans l’Italie, en fut bientôt bannie par le zèle efficace de saint Léon[1]. » Le père Thomassin n’oublie pas cet exemple de l’usage des lois pénales contre l’hérésie. Saint Léon, pape, dit-il[2], dans sa première décrétale, dit que plusieurs manichéens venaient de se convertir à Rome : mais que quelques-uns d’entre eux s’étaient si avant engagés dans ces détestables erreurs, que quelques remèdes qu’on eût employés, on n’avait pu les en retirer : qu’on avait ensuite usé de la rigueur des lois ; et que, selon les constitutions des princes chrétiens, les juges publiés les avaient condamnés à un exil perpétuel, de peur que leur contagieux commerce n’infectât le reste du troupeau. Je mets en note les paroles qu’il a citées de saint Léon[3]. Un peu après il cite le code de Justinien, pour nous apprendre que la loi onzième du titre V du Ier. livre, condamne les manichéens à perdre la tête, quelque part qu’on les trouve dans l’empire romain : Manichæo in

  1. (*) Ut damnarent Manichæum cum prædicationibus et disciplinis suis publicâ in ecclesiâ professione, et manus suæ subscriptione compulimus. S. Leo, ep. 2. ad episc. per Italiam : et epist. 93, ad Turib. Asturic.
  2. (*) Antè tribunal Domiui de reatu negligentiæ se non poterit excusare quicunque plebem suam contra sacrilegæ perversionis auctores noluerit custodire. Epist. 2, ad episc. per Italiam.
  3. (*) Nov. Valent. 3, de Manich.
  1. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 20, à l’année 443.
  2. Thomassin, de l’Unité de l’Église, tom. I, pag. 339.
  3. Aliquanti verò, qui ita se demerserunt ut nullum his auxiliantis posset remedium subvenire, subditi legibus, secundùm christianorum principum constituta, ne sanctum gregem suâ contagione polluerent, per publicos judices perpetuo sunt exilio relegati.