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MANICHÉENS.

vrage d’un prince bon et saint, nous répondrons que cela s’est pourtant fait, et par conséquent que cela est très-possible. Il n’y a rien de plus insensé que de raisonner contre des faits : l’axiome, ab actu ad potentiam valet consequentia, est aussi clair que cette proposition, deux et deux font quatre[1]. Les manichéens s’aperçurent de ce que je viens de remarquer : c’est pour cela qu’ils rejetèrent le Vieux Testament ; mais ce qu’ils retinrent de l’Écriture fournissait d’assez fortes armes aux orthodoxes : ainsi on n’eut pas beaucoup de peine à confondre ces hérétiques qui, d’ailleurs, s’embarrassaient puérilement lorsqu’ils descendaient dans le détail[2]. Or, puisque c’est l’Écriture qui nous fournit les meilleures solutions, je n’ai pas eu tort de dire qu’un philosophe païen serait malaisé à vaincre sur cette matière. C’est le texte de cette remarque,

Quelque longue qu’elle soit, je ne la finirait pas sans avertir mon lecteur qu’il me reste encore trois observations à faire, que je renvoie à un autre article[3]. Je dirai dans la 1re, si les pères ont toujours bien raisonné contre les Manichéens, et s’ils ont pu les pousser à bout ; et dans la 2e., que, selon les dogmes du paganisme, les objections de Zoroastre n’avaient pas beaucoup de force ; et dans la 3e., en quel sens on pourrait dire que les chrétiens ne rejettent pas le système des deux principes. Ils ont plus de peine que les païens à éclaircir ces difficultés par la voie de la raison, parce qu’ils ont entre eux des disputes sur la liberté, dans lesquelles l’agresseur semble être le plus fort[4] ; et parce aussi que le petit nombre des prédestinés, et l’éternité de l’enfer, fournissent des objections que Mélissus n’aurait pas fort redoutées.

(E) Le zèle du pape Léon fut soutenu par les lois impériales. ] Il y avait déjà des manichéens à Rome, lorsque saint Augustin y arriva l’an 383 ; car il logea chez un manichéen, et conversait le plus souvent avec ceux de cette secte... Mais après que Carthage fut prise et désolée par Genséric, rot des Vandales, l’an 439, la plupart des manichéens d’Afrique se refugièrent, aussi-bien que les catholiques, en Italie, et principalement à Rome[5]. Le pape Léon obligea le peuple à faire une exacte recherche de ces hérétiques, et indiqua à quelles marques on les pourrait reconnaître [6]. « Pour donner encore à tout le monde plus d’horreur d’une secte si détestable, il tint une assemblée, où, avec les évêques voisins de Rome, il fit entrer les principaux du clergé, du sénat, de la noblesse de Rome, et du peuple[* 1]. Là il produisit les plus considérables d’entre les manichéens, et un de leurs évêques, qui firent une confession publique de leurs abominables impudicités, que je n’ose exposer, de peur de blesser les oreilles, ou plutôt les yeux chastes de mon lecteur ; et que ceux mêmes qui les avaient commises dans leurs assemblées secrètes, par l’ordre de ce faux évêque, déclarèrent devant tout le monde, faisant connaître en même temps quels étaient leurs évêques et leurs prêtres, les endroits les plus retirés où ils s’assemblaient, leurs profanes mystères, et leurs sacriléges cérémonies, ce qui fut mis authentiquement par écrit. Et saint Léon en rendit compte au peuple peu après, dans un sermon qu’il fit pour le jeûne des Quatre-Temps du mois de décembre, où il déclara[* 2], qu’on était obligé en conscience de déférer ceux qu’on saurait être engagés dans une si infâme et pernicieuse hérésie ; que tous devaient s’unir, et agir avec un même zèle et une

  1. (*) Ep. 93, ad Turib. Ser. 5 de jejun. decim. mens.
  2. (*) Contrà communes hostes pro salute communi una communis debet esse vigilantia ; .. et qui tales non prodendos putant, in judicio Christi imvenientur rei de silentio, etiamsi non contaminentur assensu. Ser. 5, de jejun. decim, mens.
  1. Voyez, tom. XI, dans l’article Pauliciens, la remarque (E), vers le commencement du premier alinéa.
  2. Voyez la remarque (B).
  3. À celui des Pauliciens, tom. XI, remarques (E), (G) et (H).
  4. Voyez la remarque (F) de l’article Marcionites, dans ce volume.
  5. Maimbourg, Histoire de saint Léon, liv. I, pag. 14.
  6. Là même, pag. 18.