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MACÉDOINE.

long : j’en ai usé d’une semblable manière à l’égard de bien d’autres faits ; et, quand l’occasion le demandera, je me servirai de cette méthode.

(H) Quelque louange qu’il ait méritée..... par rapport à la continence. ] Dans le premier feu de sa jeunesse il parut si indifférent à l’égard des femmes, que sa mère craignit que cela n’allât trop loin, et ne procédât d’impuissance : c’est pourquoi, du consentement de son mari, elle fit coucher auprès d’Alexandre une très-belle courtisane de Thessalie, afin de fondre la glace, et de réveiller le goût du jeune homme. Callixéna (c’était le nom de la belle Thessalienne) fit de son mieux à plusieurs reprises pour se faire caresser, et n’obtint rien [1]. Si ce conte est vrai, il faut croire que la nature, qui en toutes autres choses avait été fort diligente pour ce prince, fut paresseuse, et se leva un peu tard sur ce point-là. On débite [2] qu’il porta son pucelage en Asie, et que la veuve de Memnon [3] a été la première femme dont il ait joui, et que quand il se maria, il n’avait eu encore affaire qu’avec cette veuve. Il fallut même que Parménion le poussât à la caresser, quelque capable qu’elle fût de toucher un homme. Si cela est vrai, ceux qui nous parlent de la complaisance d’Alexandre pour Apelles se trompent. Ils disent qu’ayant donné à peindre toute nue la plus chérie de ses concubines [4] à Apelles, et s’étant aperçu qu’Apelles en était devenu amoureux, il lui en fit un présent. Cette histoire et celle de Plutarque sont incompatibles ; car la veuve de Memnon ne fut prise que lorsqu’Alexandre se rendit maître de Damas, et ce fut à Éphèse qu’il connut Apelles, assez long-temps avant la prise de Damas. On pourrait rendre compatibles ces deux histoires, si l’on supposait, ou qu’Alexandre n’avait point encore joui de sa concubine lorsqu’il en fit cession au peintre, ou qu’il la lui donna à peindre depuis la prise de Damas. Mais la 1re. de ces deux suppositions est contre l’histoire même dont il s’agit ; car Pline [5] qui la rapporte ne se contente pas d’observer que cette maîtresse était fort belle [6], et la plus aimée de toutes les concubines d’Alexandre, il remarque encore que ce prince céda son lit et son affection au peintre. Élien qui rapporte la même histoire, marque cette circonstance, que la concubine en question était de Larisse en Thessalie, et la première femme qui eût fait sentir à Alexandre ce que c’est que le plaisir vénérien [7]. La 2e. supposition n’a nulle ombre de vraisemblance : aurait-on envoyé à Éphèse une femme d’une si grande beauté, et qu’on aimait si tendrement ? l’y aurait-on, dis-je, envoyée de si loin, pour l’y faire peindre toute nue ? Et si l’on avait mandé Apelles, ne verrions-nous pas cette circonstance dans les auteurs qui ont conservé la mémoire de ce beau présent ? outre que cette seconde supposition n’ôte pas l’incompatibilité qui est entre Élien et Plutarque. Jusqu’ici donc ce dernier auteur n’a guère prouvé la continence de son héros ; mais il nous va dire des choses qui ont beaucoup plus de force. La mère, la femme, et les filles de Darius étaient prisonnières d’Alexandre : la femme était une beauté achevée ; ses filles lui ressemblaient. Le jeune prince qui les avait en son pouvoir, non-seulement leur rendit tous les honneurs qui leur étaient dus, mais aussi il ménagea leur réputation avec la dernière exactitude. Elles furent gardées comme dans un cloître hors de la vue du monde, hors de la portée de tout objet déshonnête. Ὥσπερ οὐκ ἐν ςρατοπέδῳ πολεμίων, ἀλλ᾽ ἐν ἱεροῖς καὶ ἁγίοις ϕυλαττομένας παρθενῶσιν, ἀπόῤῥητον ἔχειν καὶ ἀόρατον ἑτέροις δίαιταν. Quasi non in hostium castris, verùm in sacris et sanctis

  1. Theophrastus, referente Hieronymo, in Epistolis, apud Athenæum, lib. X, cap. X, pag. 435.
  2. Plutarch., in Alex., pag. 676.
  3. Elle s’appelait Barsène. Voyez l’article de Memnon, dans ce volume.
  4. Élien le nomme Pancaste, et Pline Campaspe.
  5. Se vicit, nec torum tantùm suum, sed etiam affectum donavit artifici. Plin., lib. XXXV, cap. X.
  6. Selon Pline, le portrait de Vénus sortant des ondes fut fait sur celui de Campaspe.
  7. Ταύτῃ καὶ πρώτῃ ϕασὶν ὁ Ἀλέξανδρος ὡμίλησεν. Cum quâ primùm Alexander rem habuisse dicitur. Ælian., diver. Histor., lib. XII, cap. XXXIV.