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MACÉDOINE.

ἀσθενείας τῇ ϕύσει καὶ τὸ πονοῦν καὶ τὸ ἡδόμενον. Dicebat mortalem se esse intelligere se potissimùm ex somno et concubitu, quòd ab eâdem imbecillitate naturam incessat lassitudo et voluptas [1]. Il raisonnait bien, quoique peu conséquemment aux principes de la théologie païenne, qui ne parlait que des amours de Jupiter, et de ses bonnes fortunes auprès du sexe : mais comme les deux choses qui lui servaient de preuve qu’il n’était point dieu revenaient souvent, je ne vois pas de quelle manière il aurait su laisser ancrer dans son âme la foi de sa prétendue nature divine. Nous rapporterons plusieurs choses sur ce sujet dans les remarques de l’article Olympias, tome XI.

(G) Il était superstitieux jusqu’à la faiblesse féminine [2]. ] Jamais cela ne parut autant que l’année de sa mort ; ce qui ne pouvait pas être attribué au déclin de l’âge, et aux malignes influences de la vieillesse, vu qu’il n'avait pas encore trente-trois ans lorsqu’il mourut. Cette augmentation notable de superstition procéda de quelques événemens qu’on lui fit prendre pour des présages d’autant plus sinistres, qu’il était allé à Babylone malgré les avis de n’y point aller, que Néarchus lui avait donnés au nom de quelques devins chaldéens. Ce redoublement de mauvais présages le consterna de telle sorte, qu’il se défiait et des dieux et des hommes. Il crut que la protection divine l’abandonnait, et que ses amis lui devenaient infidèles. Cette défiance lui troubla tellement l’esprit, que la moindre chose extraordinaire qui lui arrivait lui paraissait un prodige : sa maison ne désemplissait point de prêtres et de devins ; il ne s’occupait que de sacrifices, que d’expiations, que d’augures. Écoutons Plutarque qui ne raconte pas la chose sans y apposer sa réflexion [3]. Alexander igitir postquàm semel religione obstrictus est tumultuante et trepidante animo præditus, nulla res insolita et aliena tàm oblata exigua est quàm non verteret in prodigium et ostentum, sed sacrificantium, expiantium, et vaticinantium erat regia referta. Adeò res est horrenda incredulitas et contemptio deorum, horrenda item superstitio, quæ aquæ moda vergit ad demissa, impletque absurdis opinionibus et metu mortales, ut tunc Alexandrum. Tant a de pouvoir, je me sers de la version d’Amyot, et de fiance, d’un costé la mecreance et impieté de contemner les dieux, quand elle se met es cœurs des hommes, et de l’autre costé aussi la superstition, coulant tousjours ne plus ne moins que l’eau contre bas es ames abaissees et ravalees par crainte, comme elle remplit alors Alexandre de folie depuis qu’une fois la frayeur l’eut saisi. Il est bon de dire que les avis des Chaldéens, notifiés par Néarchus, firent tant d’impression sur Alexandre, qu’il n’osa entrer dans Babylone, jusques à ce que les philosophes Grecs ayant su le fondement de ses scrupules, l’allèrent voir, et lui firent reconnaître par la force de leurs raisons, la vanité des sciences divinatrices. Il fit alors son entrée dans Babylone [4]. Les mauvais augures dont il se remplit la tête effacèrent les impressions que ces philosophes lui avaient données : il revint à la grande estime qu’il avait conçue pour la science des Chaldéens ; il détesta les philosophes qui lui avaient persuadé d’entrer dans la ville, et il se fâchait contre tous ceux qui voulaient lui faire entendre raison [5]. Voyez plusieurs choses concernant la superstition d’Alexandre dans les remarques de l’article d’Aristandre, son devin. Je les ai renvoyées là, de peur que cet article-ci ne fût trop

  1. Plutarch., in Alexandr., pag. 677, B. Voyez aussi de Discrim. Adulat. et Amici, pag. 65, F.
  2. Voyez l’article Aristandre, tom. II, pag. 318, remarque (A).
  3. Ὁ δ´ οὖν Ἀλέξανδρος ὡς ἐνέδωκε τότε πρὸς τὰ θεῖα, ταραχώδης γενόμενος καὶ περίϕοβος τὴν διάνοιαν, οὐδὲν ἦν μικρὸν οὕτως τῶν ἀήθων καὶ ἀτόπων, ὃ μὴ τέρας ἐποιεῖτο καὶ σημεῖον, ἀλλὰ θυομένων καὶ καθαιρόντων καὶ μαντευόντων μεςὸν ἦν τὸ βασίλειον· οὑτως ἀρα δεινὸν μὲν ἀπιςία πρὸς τὰ θεῖα καὶ, καταϕρόνησις αὐτῶν· δεινὴ δὲ αὖθις ἡ δεισιδαιμονία δίκην ὑδατος ἀεὶ πρὸς τὸ ταπεινούμενον, καὶ ἀναπληροῦν ἀβελτηρίας καὶ ϕόβου τὸν Ἀλέξανδρον γενόμενον. Plutarch., in Alexandr., pag. 706.
  4. Diodor. Sicul., lib. XVII, pag. m. 429.
  5. Idem, ibidem, pag. 431.