Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
MANICHÉENS.

dont l’infâme secte fondée par un certain Manès (A), commença au troisième siècle, et s’établit en plusieurs provinces, et subsista fort long-temps. Elle enseignait néanmoins les choses du monde qui devaient donner le plus d’horreur. Son faible ne consistait pas, comme il le semble d’abord, dans le dogme des deux principes, l’un bon et l’autre méchante ; mais dans les explications particulières qu’elle en donnait, et dans les conséquences pratiques qu’elle en tirait (B). Il faut avouer que ce faux dogme, beaucoup plus ancien que Manès (C), et insoutenable dès que l’on admet l’Écriture Sainte, ou en tout ou en partie, serait assez difficile à réfuter, soutenu par des philosophes païens aguerris à la dispute (D). Ce fut un bonheur que saint Augustin, qui savait si bien toutes les adresses de la controverse, abandonna le manichéisme ; car il eût été capable d’en écarter les erreurs les plus grossières, et de fabriquer du reste un système qui, entre ses mains, eût embarrassé les orthodoxes. Le pape Léon Ier. témoigna beaucoup de vigueur contre les manichéens ; et comme son zèle fut soutenu par les lois impériales (E), cette secte reçut alors un très-rude coup. Elle se rendit formidable dans l’Arménie au IXe. siècle, comme je le dis ailleurs[a], et parut en France dans le siècle des Albigeois[b] : c’est ce qu’on ne peut nier ; mais il n’est pas vrai que les Albigeois aient été manichéens [c]. Ceux-ci, entre autres erreurs, enseignaient que l’âme des plantes était raisonnable ; et ils condamnaient l’agriculture comme un exercice meurtrier ; mais ils la permettaient à leurs auditeurs en faveur de leurs élus (F).

Comme dans cet article, dans celui des Marcionites et des Pauliciens, et dans quelques autres, il y a certaines choses qui ont choqué beaucoup de personnes, et qui leur ont paru capables de faire croire que j’avais voulu favoriser le manichéisme, et inspirer des doutes aux lecteurs chrétiens, J’avertis ici que l’on trouvera à la fin de cet ouvrage un éclaircissement qui montrera que ceci ne peut donner nulle atteinte aux fondemens de la foi chrétienne[* 1].

    à l’Examen du Pyrrhonisme ancien et moderne, par M. de Crousaz. Joly en fait autant et renvoie aussi à l’Histoire du Manichéisme. par Beausobre et au Bayle en petit (du père Lefèvre). C’est Beausobre surtout que Chaufepié a mis à contribution dans le long article qu’il a donné aux Manichéens. et où il reproche à Bayle de n’avoir pas fait la fonction d’historien critique.

  1. * Voyez tome XV, les Éclaircissemens, etc., section II. Mais Joly ne trouve pas que le remède appliqué par Bayle puisse guérir le mal qui se trouve en cet article.
  1. Dans l’article Pauliciens, tom. XI, remarques (B) et (D).
  2. Voyez M. de Meaux, Histoire des Variations, liv. XI.
  3. Voyez M. Basnage. Hist. de la Religion des églises réformées, Ire. partie, chap. IV et suiv.

(A) Secte fondée par un certain Manés. ] Il était Perse de nation, et de fort basse naissance, mais bien fait et de bon esprit ; ce qui fut cause qu’une veuve qui l’avait acheté le prit en affection, l’adopta pour son fils, et prit soin de le faire instruire par les mages dans la discipline et la philosophie des Perses, où il profita si bien, qu’étant d’ailleurs naturellement éloquent, et s’expliquant aisément et de bonne grâce ; il acquit la réputation