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MAIGNAN.

duite ce grand fonds de pudeur et d’honnêteté qui fait craindre la contagion des entretiens sales ; et de là vint qu’il s’éloigna peu à peu du commerce de ses condisciples, et qu’il aima mieux renoncer aux divertissemens de son âge, que d’exposer son innocence à quelque péril [a]. Ses heures de récréation étaient employées à des promenades dans le couvent des minimes ; où il rencontrait un bon vieillard qui lui parlait de l’affaire du salut. Ce furent des semences de la vie religieuse à laquelle il se consacra quelque temps après, et il y fut encore fortement déterminé par une disgrâce qui lui arriva lorsqu’il était en rhétorique : il avait composé un poëme pour disputer le prix d’éloquence, et il crut qu’on lui avait fait une injustice en adjugeant à un autre la victoire. Les réflexions qu’il fit pendant son chagrin le fortifièrent tellement dans la pensée de quitter le monde, qu’il demanda l’habit de minime. On ne le fit point postuler longtemps ; et s’étant fort bien acquitté des épreuves du noviciat, il fut reçu à l’émission de ses vœux à l’âge de dix-huit ans, c’est-à-dire l’an 1619. Il fit son cours de philosophie sous un professeur très-attaché à la doctrine d’Aristote, et il ne perdit aucune occasion de disputer vivement contre tout ce qui lui était suspect d’hétérodoxie dans la physique de cet ancien philosophe. Cela fut pris pour un bon augure par son professeur, qui bientôt après découvrit avec un fort grand étonnement que son disciple entendait très-bien les mathématiques, sans que personne lui en eût fait des leçons (E). Il avait été en cela son propre maître. Il fut tout autre dans son cours de théologie que dans celui de philosophie ; car au lieu qu’en celui-ci il s’était montré fort incrédule, et avait soumis toutes choses à un examen sévère, et aux discussions les plus subtiles de la dispute, il se soumit humblement aux dogmes théologiques [b] : mais pour ce qui est des raisons péripatéticiennes que l’on employait pour les éclaircir, et pour les prouver, il ne se crut pas obligé de les admettre sans les avoir examinées ; et s’il ne les trouvait pas solides, il les rejetait, et ne faisait nul scrupule de préférer les secours de Platon à ceux d’Aristote. Les preuves qu’il donna de son esprit pendant les six années qu’il fut sur les bancs, le firent juger capable de monter en chaire pour y remplir les fonctions de professeur, et il s’acquitta de cet emploi si subtilement et si solidement, qu’il fit voler sa réputation au delà des Pyrénées et des Alpes ; et c’est pourquoi le général des minimes le fit venir à Rome, l’an 1636, pour une semblable profession. Sa capacité dans les

  1. Ad omnes vitæ suæ actus et usus advocabat honestum ac modestum illum pudorem, qui abhorret ab omni inquinamento lascivientis colloquii. Quarè capit paulatim dectinare à sociis, præeligens omni jôco abstinere, quàm facere vel levissimum verecundiæ suæ periculum Saguens, in Elogio Em, Maignani, pag. 5.
  2. Submississimam è contra istis (exercitationibus Theologicis) fidem offert ; refugitque ut à leviusculâ dubitatione, sic ab omni curiosâ indagine, ex quo audiit scrutatorem majestatis oppressum iri à gloriâ, Idem, ibid., pag. 10.