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MAIGNAN.

MAIGNAN (Emmanuel), l’un des plus grands philosophes du XVIIe. siècle, était religieux minime, natif de Toulouse [* 1]. Il abandonna les opinions de l’école, et les combattit fort solidement. Il n’était ni cartésien, ni gassendiste ; mais il s’accordait avec les deux chefs de ces deux sectes à rejeter les accidens, les qualités, et les formes substantielles, et à cultiver la physique expérimentale. Il entendait bien les mathématiques ; et il avait joint à toutes ces sciences celle de la théologie, jusques au point d’être capable de l’enseigner dans Rome même [a]. Il a eu beaucoup de disputes à soutenir contre les péripatéticiens ; et il était d’autant plus propre à leur tenir tête, qu’il gardait beaucoup de la méthode des scolastiques dans ses écrits. La manière dont il explique la conservation des accidens sans sujet dans le mystère de l’Eucharistie, est plus heureuse que celle de M. Descartes (A). J’ai lu dans quelqu’un des journalistes qu’on travaille à faire sa vie. Si je l’avais lue, j’eusse fait très-volontiers un long article de cet habile minime. Je dirai un mot de ses écrits (B). On l’a confondu avec un autre philosophe nommé Magnen (C). Cet article était déjà à l’imprimerie, lorsque j’ai découvert le père Maignan hors de sa place [b] dans le Supplément de Moréri.

Depuis la première édition de ce Dictionnaire j’ai vu un écrit [c] qui a pour titre : de Vitâ, Moribus et Scriptis R. patris Emmanuelis Maignani Tolosatis, ordinis Minimorum ; philosophi, atque mathematici præstantissimi Elogium. Il a été composé par le père Saguens [d], et imprimé à Toulouse, l’an 1697. J’en tirerai un bon supplément. Emmanuel Maignan, né le 17 de juillet 1601, était d’une ancienne et noble famille (D). Il fit espérer dès le berceau qu’il aurait de l’inclination pour les lettres et pour les sciences ; car rien n’était aussi propre à l’empêcher de pleurer et de crier, que d’avoir en main quelque livret. Il en remuait les feuillets et en considérait les caractères avec beaucoup de plaisir, et l’on s’aperçut dès qu’il eut passé l’âge de cinq ans, qu’il méprisait les petits plaisirs de l’enfance, et qu’il prêtait une attention merveilleuse aux prières et aux instructions du catéchisme. Cela fit qu’on s’appliqua plus soigneusement à le mettre sous la direction d’un précepteur domestique. Il fit ses classes au collége des jésuites, et s’acquitta très-diligemment de tous les devoirs d’un bon écolier, soit à l’égard des exercices littéraires, soit à l’égard des exercices de religion. Il fit paraître dans toute sa con-

  1. * Leclerc prétend que Bayle aurait dû omettre toute la première partie de cet article, et s’en tenir uniquement à la seconde.
  1. Voyez la remarque (B)
  2. Sous le mot Magnan.
  3. De 51 pages in-4°.
  4. Minime, natif de Toulouse, qui a été disciple du père Maignan, et qui a enseigné la philosophie de ce maître à Toulouse, à Bordeaux et à Rome, assez long-temps. Il a publié, en 1700, un ouvrage de 286 pag. in-12, intitulé : Accidentia profligata, species instauratæ, sive de speciebus panis ac vini post consecrationem Eucharisticam duntaxat manentibus, Opus Philosophico-Theologicum, où il soutient d’une grande force l’opinion du père Maignan sur les espèces sacramentales.