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MAHOMET GALADIN.

sonde faisait craindre aux princes latins un pareil effort des armes ottomanes. Elle montre fort au long les avantages de la religion chrétienne sur la mahométane, et prétend appeler le sultan au baptême par de grands exemples, lui représentant que comme il a été fort glorieux au grand Constantin d’avoir été le premier des empereurs romains qui se soit fait chrétien, et à Clovis d’avoir été aussi le premier des rois de France qui ait embrassé l’Évangile, il ne lui sera pas moins honorable d’être le premier des monarques ottomans qui fasse profession de notre foi. Il y a beaucoup de gens qui, faisant réflexion sur l’humeur inaccessible et farouche de Mahomet, ne trouvent pas vraisemblable qu’une lettre aussi délicate que celle-là ait jamais été rendue à son adresse, ni qu’on ait osé en attendre la réponse. Ils ajoutent qu’elle eût du moins trouvé fort peu de docilité dans l’esprit du sultan ; et qu’à moins d’un miracle sa conversion ne pouvait pas être l’effet des remontrances d’une lettre. Aussi quand les Italiens ont parlé du peu de succès qu’il s’en fallait promettre, ils ont dit agréablement en leur langue : La penna non toglie il filo alla spada, que la plume n’émousse pas le tranchant de l’épée. Il est donc probable qu’elle fut publiée parmi les nations occidentales, après la prise de Trébisonde, comme un manifeste pour justifier les armes de la croisade, et réveiller l’ardeur des guerriers de la chrétienté, après leur avoir montré les vains efforts que le pape avait faits pour détourner les armes du sultan par la voie tranquille des remontrances. »

MAHOMET GALADIN, empereur du Mogol, se rendit illustre par ses belles qualités, et surtout par sa grande application à écouter les demandes et les plaintes de ses sujets. Il leur donnait audience deux fois le jour ; et afin que les personnes de basse condition, qui pour l’ordinaire ne peuvent ou n’osent s’approcher du tribunal, eussent lieu d’exposer leurs griefs, il fit mettre une cloche auprès de lui, et y attacher une corde qui donnait dans la rue ; et dès qu’il entendait le son de la cloche il sortait, ou bien il faisait entrer celui qui avait tiré la corde [a]. Il mourut l’an 1605, sans que l’on ait jamais pu savoir de quelle secte il avait été [b]. Il pensa se faire chrétien ; mais les prêtres mahométans l’en détournèrent par deux raisons (A).

  1. Don Clément Tosi, bénédictin de la congrégation de Saint-Silvestre, dans le Ier, volume de son Gentilesimo confutato.
  2. Mori nel 1605, senza sapersi di qual setta egli fosse stato. Giornale dei Letterati, du 27 juin 1669, pag. 83, dans l’extrait du Gentilesimo confutato.

(A) Les prêtres mahométans le détournèrent de se faire chrétien par deux raisons. ] Par une raison d’esprit, par une raison de cœur. Ils lui dirent que la religion chrétienne lui proposerait à croire des mystères où il ne comprendrait jamais rien ; et qu’elle l’engagerait à n’épouser qu’une femme. Il y a beaucoup d’apparence que la dernière raison fut plus forte que la première ; car ceux qui ont été élevés dans la doctrine de la polygamie, et qui l’ont mise en pratique, se font une idée affreuse de la doctrine chrétienne sur ce point-là : et quand même l’on aurait dit au grand Mogol que cette pratique évangélique n’incommode pas beaucoup les princes chrétiens, parce qu’ils s’en dispensent presque tous ; non pas à la vérité en épousant plusieurs femmes. mais en se donnant des maîtresses, il n’aurait pas laissé de la trouver dure, car enfin il y a beaucoup de différence entre pouvoir faire les choses conformément à sa religion, et ne les pouvoir faire sans violer les lois de sa religion. Poco vi mancò che non accettasse la nostra religione, e ne fu ritirato da i mulasi sacerdoti Mahomettani dal non poter capir i