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MAHOMET II.

il est élevé. Notez ce trait. Enfin il lui représente que l’église romaine implorerait son bras contre des mauvais enfans qui s’élèvent contre la mère : et pour fin, se vantant que les papes ont transféré l’empire des Grecs aux Français, il promet aussi que, s’étant servi de lui aux nécessités de l’église, il lui rendra la pareille pour ses bénéfices. Il faudrait un long commentaire sur ce discours. En peu de mots, 1°. cette façon de convertir les hommes, en leur promettant la domination du monde, n’est pas apostolique ; 2°. c’est chose ridicule de promettre à un prince étranger et puissant ce dont il est déjà en possession ; 3°. c’est chose contraire à la charité, qui n’a point d’acception de personnes, d’être plus grande envers ceux qui sont plus élevés au monde ; 4°. contre la même charité de découvrir à un infidèle les maux de la chrétienté, et désirer sa conversion, pour se servir de lui contre les princes déjà chrétiens ; 5°. c’est vanité, ambition et présomption de se vanter que l’empire de Charlemagne est une rémunération du pape, et de prétendre qu’il puisse rémunérer en semblable monnaie celui auquel il parle. Et que le lecteur soit juge si ce discours était séant à celui qui se disait assis sur la chaire de saint Pierre : est-ce là un discours humble, chrétien, modeste et pieux ? Sont-ce là conditions et promesses dont toute la chrétienté l’eût avoué ? » J’ignore si Coëffeteau, ou quelque autre catholique, a répondu à cet ouvrage de Rivet, et si j’avais en main la seconde pièce des antagonistes de du Plessis, je la produirais ici tout du long, afin qu’il ne manquât rien à l’instruction du procès, et que mes lecteurs pussent prononcer avec connaissance de cause sur l’accusation intentée à Pie II. Il ne semble pas possible de répliquer quelque chose de bien fort aux remarques de Rivet, et il semble au contraire qu’il soit très-possible de les rendre plus victorieuses ; car qu’y a-t-il de plus horrible et de plus honteux à la religion chrétienne, que de voir que Mahomet II, l’un des plus grands criminels qui aient jamais vécu, un homme qui avait répandu tant de sang, et qui avait dépouillé de leurs biens tant de personnes par une suite continuelle de cruautés et d’injustices, devienne possesseur légitime de toutes ses usurpations, pourvu qu’il se fasse baptiser ? Que deviendra cette loi inviolable de la morale chrétienne, que le premier pas d’une repentance expiatoire du vol est la restitution du bien mal acquis ? Que dirait-on si un juif, coupable d’une banqueroute frauduleuse de trois millions, obtenait, par la simple cérémonie du baptême, et sans être obligé à restituer quoi que ce soit, une pleine absolution de ses crimes, et le droit de posséder ces trois millions ? Les infidèles n’auraient-ils pas une raison très-valable de décrier le christianisme comme la peste de l’équité et de la morale naturelle ? Ce qu’on ferait à l’égard du banqueroutier ne serait pourtant qu’une peccadille, en comparaison des offres que Pie II a faites à Mahomet, de le rendre légitime possesseur de ses conquêtes, moyennant quelques gouttes d’eau qu’on lui verserait sur le visage. Que diraient les apôtres à la vue d’une telle dispensation et d’un tel usage des clefs ? Est-ce là ce que disait saint Paul [1] ? Mais que dirait Ovide même, qui n’était qu’un poëte païen [2]

(R) Il y a des gens qui croient que la lettre de Pie II ne fut point écrite pour être envoyée à Mahomet. ] Je n’ajouterai rien aux paroles que j’emprunte d’un écrivain catholique [3]. « C’est ici qu’il faut dire un mot de cette longue lettre que [* 1] Francesco Sansovino à publiée, sous le nom du pape Pie [4], au sultan Mahomet ; car elle marque que ce pape l’écrivit dans le temps que la conquête de Sinope et de Trébi-

  1. (*) Francesco Sansovino, folio 134.
  1. Car nous ne sommes pas maquignons de la parole de Dieu, comme plusieurs. IIe. Corinth., chap. II, vs. 17.
  2. O nimiùm faciles qui tristia crimine cœdis
    Flumineâ tolli posse putatis aquâ.
    Ovidius, Fastor., lib. II, vs. 27.

  3. Guillet, Histoire de Mahomet II, tom. I, pag. 461 et suiv., à l’ann. 1461.
  4. C’est ignorer, ce me semble, que cette lettre se trouve dans les éditions des Lettres de Pie II.