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MAHOMET.

entre les mains d’une femme, et qu’une autre femme leur pouvait donner l’interprétation qu’elle voulait. Nous venons de voir qu’Ayesha fut considérée comme une prophétesse, et comme un oracle : ce fut une véritable papesse parmi les musulmans. M. Herbelot rapporte[1] qu’elle eut parmi eux une fort grande autorité, même en matière de doctrine et de religion, et qu’on recourait souvent à elle pour apprendre quelque tradition de Mahomet, et qu’elle entreprit de condamner elle-même le calife Othman d’impiété. Elle eût donc dû mettre les choses sur un pied très-favorable à son sexe. D’où vient donc qu’elle ne le fît pas ? Était-elle de l’humeur de certaines femmes, qui sont les premières et les plus ardentes à médire de leur sexe ? Peut-on la considérer comme une preuve de ce qu’on dit quelquefois, que l’autorité des hommes n’est jamais plus grande, que lorsqu’une femme est sur le trône ; et que celle des femmes n’est jamais plus grande, que lorsque le sceptre est entre les mains d’un homme ? Je n’en sais rien. Que les spéculatifs s’exercent tant qu’il leur plaira sur cette question. Mais considérez, je vous prie, les influences du sexe sur la fondation du musulmanisme, et comment les passions de femme y répandirent bientôt les semences de la discorde. Suivez à la trace le schisme d’Ali, vous en trouverez la source dans les impudicités d’Ayesha dont il fut le délateur. Cette femme ne le lui pardonna jamais, et l’empêcha trois fois de suite de parvenir à la dignité de calife, et après qu’enfin il y fut monté, elle se ligua contre lui[2], et se mit à la tête de trente mille hommes. Elle perdit la bataille, et y fut prise, et fut renvoyée à Médina où elle mourut, et fut enterrée auprès de Mahomet : mais la ligue qu’elle avait formée pour venger la mort d’Othman ne mourut pas avec elle. Ali fut enfin tué sous ce prétexte, et de là naquit un grand schisme qui subsiste encore.

Je ne puis finir sans remarquer un petit défaut d’exactitude dans la Bibliothéque orientale de M. Herbelot. Il dit dans l’article d’Aischah que cette veuve de Mahomet entreprit de condamner elle-même le calife Othman d’impiété : mais dans un autre endroit[3] il raconte qu’ayant été consultée par la faction qui portait des plaintes contre ce calife, elle répondit qu’on devait le recevoir à pénitence, et qu’elle le soutint depuis à Ali. Je n’objecte point cela comme une contradiction, mais comme un récit incomplet partout. Il faut croire, 1°. que cette femme jugea la cause d’Othman, et qu’elle le condamna d’impiété ; 2°. qu’elle prononça qu’il fallait se contenter de sa pénitence. M. Herbelot devait joindre ces deux faits dans l’article d’Aischah, et dans l’article d’Othman, et non pas les désunir dans l’un et dans l’autre, en mettant le premier sans le second en un endroit, et le second sans le premier en un autre lieu. Cet avis est important à tous les auteurs de dictionnaire, et il leur est très-malaisé de ne tomber pas dans cette faute. Je crains bien qu’elle ne me soit échappée plus d’une fois.

(QQ) Un conte fort ridicule touchant la crédulité des mahométans pour les miracles. ] Un bénédictin du Pays-Bas publia un livre[4] en latin et en flamand, à Deventer, l’an 1524, où il débita bien des sottises, et entre autres celle-ci : un Génois eut une si grande curiosité de voir ce que les Maures ou les Sarrasins pratiquent dans leurs mosquées, qu’il y entra furtivement, quoiqu’il sût fort bien leur coutume de faire mourir tous les chrétiens qui y entrent, ou de les contraindre d’abjurer le christianisme. Il se trouva environné d’une telle foule, qu’il ne put sortir, lorsqu’un accident lui survint qui demandait qu’il fût hors de là, car une nécessité naturelle le pressait beaucoup. Il n’en fut point le maître, et il se vit peu après en danger de mort, vu que la mauvaise odeur qui se répandait autour de lui fit connaître son aventure. Il se tira de ce mauvais pas, en faisant entendre qu’ayant été constipé depuis longtemps, il était venu se recommander

  1. Herbelot, Biblioth. orient, au mot Aischah, pag. 80.
  2. Herbelot, là même, et au mot Ali, pag. 89 et 90.
  3. Dans l’article Othman, pag. 696.
  4. Intitulé, Prognosticon Anti-Christi.