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MAHOMET.

nemi du genre humain, que ne le serait le cours tranquille et heureux d’une seule fausse secte. D’ailleurs c’est une chose très-capable de flatter l’orgueil d’un esprit ambitieux, que de faire voir qu’il peut établir le mahométisme en dépit de cent obstacles. Ne peut-il pas espérer que s’il donne de merveilleux accroissemens à cette secte, quoiqu’elle soit combattue dans sa naissance par d’autres sectes, il y marquera un caractère de divinité, et il se rendra le singe de Dieu, qui n’a jamais fait paraître plus sensiblement la force de sa protection sur l’Évangile, qu’en empêchant les mauvais effets des hérésies et des schismes du premier siècle ?

(LL) Quelques auteurs arabes... se vantent d’avoir lu des exemplaires de l’Évangile, qui contenaient des choses touchant Mahomet que les chrétiens ont effacées. ] Les plus incrédules sont ébranlés quand ils voient des auteurs graves qui affirment certaines choses avec un grand attirail de circonstances, et comme les ayant vues de leurs propres yeux. Il est donc utile de faire voir par des exemples notables que ces sortes d’affirmations sont quelquefois illusoires. Quel plus grand exemple pourrais-je citer que celui qu’on va lire ? On y verra un mahométan qui assure qu’un chrétien lui a montré un exemplaire de l’Évangile, où se trouvent quantité de choses claires et précises touchant Mahomet, et qu’il n’y a qu’un autre exemplaire au monde qui soit semblable à celui-là. Inter nomina seu titulos blasphemi impostoris Paracletum numerant, teste Al-Jannabio : quin et aliàs in loco non uno, antè Evangelia à christianis corrupta expressam ejus factam mentionem sibi facilè persuadent, idque ab ipsis christianis edocti, ut refert auctor modò laudatus ; Mohammedem scil. Al-Selencium, nescio quem à sacerdote quodam magni inter christianos nominis didicisse nullibi extare Evangelii exemplar incorruptum, quàm apud se unum, ac Parisiis alterum, atque è suo multa coram ipsis legisse, in quibus multa et perspicua de Mohammede narrarentur [1].

(MM) Quelques-uns disent que Mahomet déclara qu’il n’y avait que le tiers de l’Alcoran qui fût véritable. ] Le père Joseph de Sainte-Marie, carme déchaussé, missionnaire apostolique dans le royaume de Malabar, assure[2] que les habitans de Mascati se piquent d’être les plus fidèles observateurs de la loi de Mahomet, et qu’ils prétendent que Mahomet déclara que, de douze mille paroles qui se trouvent dans l’Alcoran, il n’y en a que quatre mille de véritables. Quand on les réfute sur quelque point, et qu’ils ne savent comment se défendre, ils le mettent au nombre des huit mille faussetés. Voilà qui est bien commode pour se tirer de tout mauvais pas dans la dispute.

(NN) Les variations de son esprit prophétique répondaient au changement de ses intérêts particuliers. ] Servons-nous des paroles de M. Prideaux [3]. « Presque tout son Alcoran a été[* 1] de cette manière formé pour répondre à quelque dessein particulier qu’il avait, suivant que l’occasion le requérait. S’il y avait quelque chose de nouveau à mettre sur pied ; quelque objection contre lui, ou contre sa religion, à répondre ; quelque difficulté à résoudre ; quelque mécontentement parmi le peuple, à apaiser ; quelque scandale à ôter ; ou quelque autre chose à faire pour le bien de ses desseins, il avait ordinairement recours à l’Ange Gabriel pour quelque nouvelle Révélation ; et d’abord, il faisait paraître dans son Alcoran quelque augmentation propre à répondre aux fins qu’il se proposait alors. De manière qu’il a presque tout été composé en des occasions de cette nature, pour produire dans son parti l’effet qu’il se proposait. Et tous ses Commentateurs avouent assez la chose en faisant voir avec exactitude les raisons pour lesquelles chaque chapitre leur avait été envoyé du ciel. Mais cela fut cause des contradictions qui sont entrées

  1. (*) Richardi Confutatio, c. 12.
  1. Pocockius, in Specim Histor. Arabum, pag. 185, 186.
  2. Dans le livre intitulé : Prima Speditione all’ Indie Orientali, imprimé à Rome. Le Journal d’Italie, du 31 de mars 1668, en fait mention.
  3. Prideaux, Vie de Mahomet, pag. 155.