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MAHOMET.

respexit eum ; Mohamedes præ pudore sudavit, tergensque digite sudorem, sex extrà paradisum guttas misit, ex quarum unâ rosa, ex alterâ oriza productæ sunt, ex reliquis quatuor, quatuor Mohamedis socii nati sunt. Voilà qui surpasse les plus absurdes visions des légendaires chrétiens. Mahomet, disent ses sectateurs, faisait le tour du trône de Dieu dans le paradis, avant que de se montrer aux hommes. Dieu se tourna vers lui et le regarda : Mahomet en eut tant de honte qu’il en sua, et ayant essuyé sa sueur avec ses doigts, il en fit tomber six gouttes hors du paradis, l’une desquelles produisit la rose, une autre le riz, les quatre autres formèrent les quatre compagnons du prophète. Que dites-vous, monsieur, de la vision des Arabes, ces paroles sont de Balzac, qui ont ôté la rose à la déesse Vénus, pour la donner au prophète Mahomet, et qui tiennent (c’est Busbéquius qui le dit dans ses relations) que les premières roses sont nées de la sueur de ce grand prophète ? N’admirez-vous point leur chronologie, qui ne veut pas qu’il y ait eu de roses dans le monde, avant l’empire d’Héraclius [1] ?

(II) L’ange Gabriel lui enseigna la composition d’un ragoût qui lui donnait de grandes forces pour jouir des femmes. ] Il se vantait d’avoir appris de l’ange Gabriel que la vertu de ce ragoût[2] était de fortifier les reins. En ayant mangé une fois par l’ordre de l’ange, il eut la force de se battre contre quarante hommes ; dans une autre occasion, il eut affaire quarante fois avec des femmes sans en être fatigué[3]. Mohamedes…. affirmabat…. hoc pulmentum à Gabriele angelo se edoctum fuisse, et utilitatem ejus, eodem angelo teste, in eo consistere ut renes corroboret. Quandoque angeli jussu Mohamedes ex eo edens unâ nocte pugnavit adversùs quadraginta viros, aliàsque quadragies indefatigatus rem cum feminis habuit. Sanè hæc, anuum delirantium fabellas, aut alicujus moslemanicæ sectæ osoris calumnias esse opinaremur, nisi præfatum authorem [4] juris peritissinum, eundemque obsequentissimum Mohamedis sectatorem, ea omnia disertè arabico stylo, capite de quorundam ciborum delectu et utilitate videremus referentem. Nous avons ici un auteur grave parmi les mahométans, qui raconte ces infamies de son prophète : on ne doit donc pas soupçonner que les chrétiens ou les juifs aient inventé ces contes pour noircir cet imposteur ; et ainsi, encore que nous ne lisions pas dans l’Alcoran que les plaisirs de l’union entre les deux sexes dureront chaque fois soixante ans entiers, il ne faut pas douter que ce ne soit une tradition mahométane. Mais, afin de donner lieu à un chacun de mieux juger de cela, il faut que je rapporte un passage qui nous apprend que M. Pocock, si versé dans la lecture des auteurs mahométans, ne rapporte point cette tradition. Voici une note du sieur Bespier, sur ce que M. Ricaut dit[5] que le faux prophète promettait un paradis où il y aurait de belles femmes, dont la jouissance donnerait des plaisirs excessifs... et qui dureraient soixante ans entiers sans discontinuation [6]. « L’Alcoran ne parle nulle part du temps de ces plaisirs. Baudier ne fait point de difficulté de l’étendre jusques à cinquante ans, page 661 de son Histoire de la religion des Turcs. C’est ce qu’il a pris de Vigenère, page 208 de ses Illustrations sur Chalcondyle, ou qu’ils ont pris l’un et l’autre de Jean André, pag. 72, où il dit la même chose. Je ne trouverais pas mauvais qu’ils l’eussent copié en une infinité d’endroits, comme ils ont fait, et surtout sur les délices du paradis, où

  1. Balzac, entretien V, chap. II, pag. m. 85. Conférez la remarque (DD) de l’article Junon, tom. VIII, pag. 525.
  2. En voici la composition. Solent (Arabes) frequenter nutriri pulmento quodam Herise dicto, quod ex tritico priùs decocto conficiunt, post soli exsiccandum exponitur tùm in urnâ contunditur donec emundetur, postremò pingui carne simul coquitur, donec caro consumatur, quod sanè palato non est ingratum. Gabr. Sionita et Jo. Esronita, de nonnullis Oriental. Urbibus.
  3. Gabriel Sion. et Jo. Esron., ibid.
  4. C’est-à-dire, si je ne me trompe, Mohamedes Ben-Casem, duquel ils citent, pag. 2, Hortus reram delectabilium.
  5. Ricaut, État de l’Empire ottoman, pag. 322.
  6. Bespier, Remarques curieuses, p. 625.