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LUTHER.

de ces nécessités contre l’Évangile, et de ces impuretés inévitables,...... et qui voit l’inconvénient de cette impure doctrine qui introduirait le divorce, et même la polygamie, aussitôt que l’un des conjoints serait travaillé de maladies, je ne dis pas incurables, mais longues, ou qu’il se trouvât d’ailleurs quelque empêchement qui les obligeât à demeurer séparés. Ce ministre ne s’est point nommé ; mais un autre, marchant la tête levée, a dénoncé cette doctrine pour la faire censurer, et enfin il a publié que c’est un principe d’où cette conclusion coule naturellement, c’est qu’un homme, dont la femme est malade peut se marier à une autre [1]. Il n’est rien de plus certain, ajoute-t-il ; une égale nécessité donne un égal privilége ; et si un mari est autant empêché d’habiter avec sa femme par une paralysie, que par sa détention chez les barbares, il est autant en droit de chercher un remède à son incontinence dans un second mariage. M. de Beauval, entre les laïques, a poussé encore cela plus fortement [2]. Un autre laïque a soutenu que cette maxime [3] ouvre la porte aux plus étranges déréglemens ; elle autorise un incontinent dont la femme est long-temps malade, à se marier à une autre, et puis à une autre, sans fin et sans cesse, si la providence de Dieu veut qu’elles soient toutes malsaines. Ainsi voilà par cette belle porte la polygamie turque faisant irruption dans le christianisme, et le remplissant de ses brutales lascivetés. Bien plus, voilà dans le christianisme ce qui ne s’est point vu dans l’ancien paganisme, et ne se voit point aujourd’hui dans le mahométisme ; voilà, dis-je, les femmes autorisées à avoir plusieurs maris en même temps, lorsque n’ayant pas le don de continence, elles ont pour époux un homme malsain : car il serait ridicule de prétendre, qu’à leur égard, c’est un moindre mal de se répandre dans ces impuretés, qui sont, selon ce ministre, des suites infaillibles du célibat pour certains tempéramens, que de recourir au remède d’un second mari. On voit donc que sa maxime est une source des plus honteuses et des plus sales licences qui se soient vues dans le monde ; et que rien n’exposera notre communion à des reproches plus mortifians que cette doctrine du sieur Jurieu, si nos synodes ne la condamnent. Toutes les lois que la bienséance et la sagesse des magistrats ont introduites pour empêcher les veuves de se remarier avant un certain terme, tombent par terre, ou ne sont qu’une tyrannie qui fait répandre en mille et mille impuretés celles qui ont un certain tempérament. L’auteur des Pastorales à expédiens [4] pour tâcher de sortir d’affaire, par rapport à quelques autres difficultés qu’on lui avait proposées touchant le divorce et les seconds mariages ; mais il n’a pu se débarrasser de celle-ci : cela n’était pas possible. Tout ce qu’il a fait s’est réduit à des calomnies contre son dénonciateur ; car c’est une calomnie que de se plaindre qu’on a été accusé d’une chose dont on n’a point été accusé [5]. Voilà combien il importe que ceux qui répondent à un ouvrage de controverse sachent aller bride en main ; car s’ils s’abandonnent à l’impétuosité étourdie de leur esprit et de leur tempérament, ils gâtent les meilleures causes.

Ce que j’ai dit du respect que l’on doit porter à la très-illustre maison de Hesse, et à la mémoire d’un électeur réformé, ne serait pas bien intelligible à tout le monde, si je n’y joignais une explication. Les actes de ce second mariage ont été tirés des archives de Ziegenhain communs à la branche de Hesse-Cassel, et à celle de Hesse-Darmstad [6]. Le prince Ernest de Hesse-Rhinfelds, ayant embrassé la foi romaine, fut ravi qu’ils vissent le jour, parce qu’il crut que cela ferait du tort à l’église qu’il avait quitté [7] ; et il est visible

  1. Voyez le livre d’Élie Saurin, pasteur de l’église wallonne d’Utrecht, intitulé : Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 801.
  2. Voyez sa Réponse à l’Avis.
  3. Voyez l’écrit intitulé : Déclaration de M. Bayle, pag. 18.
  4. Voyez la VIe. lettre du Tableau du Socinianime, pag. 300 et suiv.
  5. Voyez Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 801.
  6. Varillas, Histoire de l’Hérésie, liv. XII, pag. 87.
  7. Voyez Varillas, là même, et M de Meaux, Histoire des Variations, lib. VI, num. 1, sub fin.