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LUCRÈCE.

(O)…… et quelques autres écrivains. ] Voyez ci-dessus la remarque (B). M. le baron des Coutures fait dire à Lambin, que l’élocution de Lucrèce est préférable à celle de César et de Cicéron. Il faut qu’il se soit servi d’une édition différente de celle que j’ai consultée, où j’ai trouvé ces paroles, hoc non dubitanter affirmabo nullum in totâ linguâ latinâ scriptorem Lucretio latinè meliùs esse locutum : non M. Tullii, non C. Cæsaris orationem esse puriorem[1]. C’est à Pierre Victorius que l’on pourrait imputer quelque chose de semblable ; car il préférait hautement Lucrèce à Virgile[2]. Il est surprenant, après le passage qu’on vient de voir, que l’on accuse Lambin de dire qu’il trouve méchante la latinité de Lucrèce. Quo respexit fortè Dionysius Lambinus cùm Lucretium malum latinitatis autorem vocat, quâ tamen cum sententiâ ille minimè audiendus est[3]. Borrichius suppose que Cicéron, Aulu-Gelle et Scaliger ont loué Lucrèce de s’être servi d’une très-pure latinité : Certè purissimæ latinitatis esse omnia in confesso est… laudaturque hoc nomine Ciceroni, Gellio, Scaligero, aliis[4]. Nous avons vu ci-dessus que l’éloge de Cicéron n’a nul rapport à la pureté du style. Glandorp[5] se trompe, quand il suppose que Lucrèce a suivi les sentimens d’Empédocle : s’il avait pris garde au Ier livre de Rerum Naturâ, où Empédocle est réfuté, il n’aurait point dit cela.

(P) La traduction…… de M. l’abbé de Marolles n’aurait pas eu le destin qu’elle eut. ] La reine Christine l’aurait remercié de la dédicace d’un si beau livre. Son silence mortifia sans doute l’abbé, qui ne laissa pas d’être bien content de son travail. Il faut l’entendre lui-même[6]. Quand l’édition de la version de Lucrèce fut achevée, le brave M. du Morhier, pour qui j’ai toujours eu tant d’estime, trouva bon que j’en fisse un présent à la reine Christine de Suède [7] : toutefois cela ne servit de rien, et je ne sais pas même si elle reçut le livre que M. Hérauld, qui faisait ici ses affaires avec tant de soin et de fidélité, m’assura de lui avoir envoyé. Du moins n’en ai-je point reçu de réponse, contre la coutume de cette princesse, qui était alors assez libérale de ses complimens aux gens de lettres. Quoi qu’il en soit, le livre n’a pas laissé d’être assez bien accueilli du public : et j’ai vu quelques savans hommes, M. le comte de Pagan, feu M. le Pailleur, le docte M. d’Avisson, M. de la Courvée, médecin de la reine de Pologne, et quelques autres, qui m’en ont remercié pour l’intérêt du public, après avoir satisfait en quelque façon aux difficultés qu’on y pouvait former à cause de la doctrine de ce poëte, dans son troisième volume, où il traite de la nature de l’âme. Je l’ai depuis fort corrigé, et mis en bien meilleur état pour en faire une seconde édition. M. l’abbé de Marolles n’entendait pas assez bien la langue latine, et la physique d’Épicure, pour réussir dans une telle version. Cependant elle a été imprimée deux fois ; 1o. l’an 1650, dédiée à la reine de Suède ; 2o. l’an 1663, augmentée de la traduction du Xe. livre de Diogène Laërce, et dédiée à M. le premier président.

(Q) Plutarque critiqua Épicure sévèrement. ] Pour commenter avec ordre ces paroles-là, il faut d’abord représenter le but d’Épicure et de Lucrèce. Ils se proposent de prouver qu’il ne faut point craindre la mort, que la mort n’est rien, que nous n’y avons aucun intérêt, qu’elle ne nous concerne pas.

Nil igitur mors est, ad nos neque pertinet hilum[8].


Leur preuve était prise de ce que les choses dissoutes ou séparées ne sentent point, et que les choses qui ne sentent pas ne sont rien à notre égard. Voici les paroles d’Épicure : Ὁ θάνατος οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς· τὸ γὰρ δια-

  1. Lambinus, in Vitâ Lucretii, sub fin. Voyez aussi ses Notes sur Horace, od. V, l. II.
  2. Passant par Florence, j’avais rencontré un commentaire de Victorius, sur un livre d’Aristote, dans lequel ce commentateur chagrin accuse Virgile : quelle entreprise, bon dieu ! et quels attentats ! de prendre des mots les uns pour les autres, et d’être moins pur et moins latin que Lucrèce. Balzac, troisième défense à Ménandre, pag. m. 405 des Œuvres diverses.
  3. Morbofius, de Patavin. Livianâ, p. 156.
  4. Borrichius, de Poëtis latinis, pag. 45.
  5. Onomast., pag. 557.
  6. Marolles, Mémoires, pag. 186, 187, à l’ann. 1650.
  7. C’est-à-dire, que je le lui dédiasse.
  8. Lucret., lib. III, vs. 842, pag. m. 172.