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LUCRÈCE.

Plutarque l’en critique sévèrement (Q). La contradiction se rapporte à la doctrine de Lucrèce touchant la nature de l’âme de l’homme. Il a soutenu que cette âme meurt avec le corps, et néanmoins il remarque qu’elle s’en retourne au ciel lorsque l’homme meurt. Ceux qui prétendent qu’il n’a pu parler de la sorte sans se contredire n’avaient guère lu son ouvrage, ou n’avaient guère compris ses sentimens (R). Cette objection ne l’eût point embarrassé : il aurait eu infiniment plus de peine à maintenir les attributs de ses dieux (S) ; car il fournit lui-même des armes à ceux qui les veulent attaquer, et c’est en cet endroit-là que son système ne paraît pas la production d’un esprit qui sait raisonner conséquemment.

(A) Titus Lucretius Carus. ] Lambin conjecture que notre poëte était, ou de la famille des Lucrèces surnommés Vespillo, ou de la famille des Lucrèces surnommés Ofella, et que le surnom de Carus fut en lui un quatrième titre, qui marquait ou son grand génie, ou la douceur de son naturel, ou quelque chose de cette nature[1]. Il produit quelques exemples de gens qui avaient deux surnoms. M. le baron des Coutures passe plus avant[2] ; il affirme comme un fait certain que Lucrèce fut surnommé Vespillon ou Ofelle, parce qu’il tirait apparemment son origine d’une de ces deux maisons. Le même Lambin conjecture que Lucrèce était ou frère, ou cousin germain des deux orateurs dont Cicéron parle, l’un surnommé Vespillo, et l’autre Ofella, ou bien de Lucrétius Vespillo dont parle Jules César. Ce dernier Lucrèce était sénateur ; mais cela n’empêche point qu’il ne pût être proche parent de notre poëte ; car il y avait des familles où quelques-uns s’élevaient à la dignité de sénateur, pendant que les autres demeuraient dans le rang des chevaliers. Pour le prouver, Lambin se sert d’une fausse supposition. Il dit que si le frère de Cicéron n’eût point aspiré aux grandes charges, on aurait vu deux frères, l’un sénateur, l’autre simple chevalier ; mais il reconnaît que le frère de Cicéron ne fit point cela. Finge ex his duobus fratribus alterum se ad honores petendos, et Remp. gerendam contulisse : alterum luce populari carere, suum negotium agere, intrà pelliculam, se continere voluisse (quod tamen secùs factum est) sed finge ita evenisse, procul dubio is qui ædilitatem majorem, præturam, consulatum adeptus esset, ut Marcus, senatorii ordinis factus esset : ille alter qui nullum magistratum gessisset, in equestri ordine mansisset[3]. M. le baron des Coutures passe encore ici plus avant ; il affirme que notre Lucrèce resta toujours dans l’ordre des chevaliers, et que Cicéron, qui posséda toutes les plus considérables charges de la république, eut toujours Quintus Tullius, son frère, dans l’ordre des chevaliers.

(B) Il naquit l’an 2 de la 171e. olympiade. ] C’est une opinion assez commune[4], que Lucrèce vint au monde douze ans après Cicéron, sous le consulat de Lucius Licinius Crassus et de Quintus Mucius Scévola, l’an de Rome 658. M. le baron des Coutures[5] est le premier que je sache, qui ait mis la naissance de Cicéron douze ans après celle de Lucrèce. Il marque d’ailleurs, pour la naissance de l’un et de l’autre, les consulats qui sont marqués par les autres écrivains. Lambin fait ici trois fautes. Il dit qu’Eusèbe a mis la naissance de Lucrèce à l’olympiade 171, c’est-à-dire sous le consulat de Cn.

  1. Cùm ad commune totius familiæ cognomen aut Vespillonis, aut Ofellæ, cognomen Cari accessisset, vel propter ingenii magnitudinem ac præstantiam, vel propter morum suavitatem et comitatem vel propter aliquid tale. Lambinus, in Vitâ Lucretii.
  2. Dans la Vie de Lucrèce, au-devant de sa traduction française de ce poëte, imprimée à Paris, l’an 1685.
  3. Lambinus, in Vitâ Lucretii.
  4. Lambin, Gifanius, Daniel Pareus in Vitâ Lucretii, l’approuvent.
  5. Dans la Vie de Lucrèce.