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LUCRÈCE.

lui avait donné un philtre qui le fit tomber en fureur. Cette manie lui laissait des intervalles lucides, pendant lesquels il composa les six livres de rerum Naturâ (C), où il explique savamment la physique d’Épicure. La même Chronique nous apprend que cet ouvrage fut corrigé par Cicéron, après la mort de l’auteur (D). Jamais homme ne nia plus hardiment que ce poëte la providence divine (E), et cependant il a reconnu un je ne sais quoi qui se plaît à renverser les grandeurs humaines (F) ; et l’on ne saurait nier que son ouvrage ne soit parsemé de plusieurs belles maximes contre les mauvaises mœurs (G). S’il eût fait autant d’attention aux accidens des particuliers, qu’à ceux des grands, il eût reconnu peut-être un je ne sais quoi qui se plaît à chagriner les petites conditions ; mais peut-être aussi qu’il eût rejeté cette hypothèse (H), et se fût fait fort d’expliquer physiquement cette affaire-là. Ceux qui ont écrit sa vie assurent qu’il était parfaitement honnête homme[a]. Quelques-uns veulent que l’invocation qui se trouve à la tête de son poëme (I) soit propre à montrer qu’il s’est contredit, et que dès la première ligne il a quitté son système. Ils auraient raison, s’il était vrai que cette prière fût autre chose qu’un jeu d’esprit (K), où il voulut bien s’accommoder en quelque façon à la coutume. Il est aisé de prouver qu’en plusieurs rencontres il a conformé son style au langage commun, et aux sentimens qui selon lui n’étaient qu’erreurs populaires (L). Un prétend qu’il a été disciple de Zénon. Ceux qui ont critiqué cela n’ont pas trop bien réussi (M). Nous dirons, en réfutant M. Moréri (N), et quelques autres écrivains (O), plusieurs choses qui concernent Lucrèce. Ceux qui désirent de savoir les éloges qu’on lui a donnés, n’ont qu’à consulter les auteurs que Barthius nous indique[b]. M. Creech qui donna en 1695, une édition de ce poëte[c], accompagnée d’une excellente paraphrase et de belles notes, en avait déjà publié une traduction anglaise. C’est dommage qu’un tel auteur n’ait pas été de longue vie[d], et que sa fin ait été conforme en quelque manière, à celle de l’auteur romain qu’il avait traduit et paraphrasé. Je suis sûr que la traduction française de M. l’abbé de Marolles n’aurait point eu le des fin qu’elle eut (P), si elle eût été aussi bonne que cette version anglaise[* 1].

Il ne sera pas hors de propos d’examiner un paralogisme et une contradiction que l’on reproche à Lucrèce. Le paralogisme regarde l’un des argumens dont il s’est servi pour faire voir qu’il faut mépriser la mort. Épicure l’avait déjà employé, mais d’une telle manière que

  1. * Lagrange, mort en 1775 à trente-sept ans, a donné une nouvelle traduction française et qui est très-estimée, du poëme de Lucrèce, 1768, deux vol. in-8o., 1768, deux vol. in-12, 1794, deux vol. grand in-4o., (les exemplaires sur papier nom de Jésus sont en trois vol.), et 1821, deux vol. in-12.
  1. Voyez la remarque (G).
  2. Comment. in Statium, tom. I, p. 261.
  3. Imprimée à Oxford, in-8o.
  4. Il a cessé de vivre en 1700, n’ayant pas encore quarante ans. Voyez les Nouvelles de la Rép. des Lettres, sept. 1700, pag. 331.