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LOUIS VII.

VII, plus moine que roi, écoutât plutôt les scrupules de sa conscience que les mouvemens de son ambition. Je n’ai rien voulu retrancher de ce passage : tout m’y a paru bien pensé et propre à instruire le lecteur. Un autre écrivain moderne raisonne sur les motifs de Louis VII, sans y mêler du scrupule de conscience. Voici ce qu’il dit : « Louis étant retourné des saints lieux, avait fait casser son mariage avec Éléonor d’Aquitaine, sous prétexte qu’ils étaient parens, mais en effet pour punir cette reine d’un commerce suspect qu’elle avait eu en Orient avec un Turc nommé Saladin, et d’autres débauches trop publiques pour pouvoir être tenues secrètes. Le chagrin lui fit faire ce divorce avec si peu de précaution, que, contre toutes les règles de la politique, il renvoya Éléonor dans son pays, qu’il lui rendit ; ne croyant peut-être pas qu’il y eût eu un homme assez hardi pour épouser une princesse qu’il aurait répudiée, ou un prince assez peu délicat pour prendre une femme décriée, et dont il avait eu deux filles. L’événement fit voir qu’il s’était trompé. Henri, alors duc de Normandie, passa par-dessus cette délicatesse, pour faire dépit à Louis, et encore plus pour joindre la Guienne à tant d’autres belles terres qu’il possédait en France, par lesquelles il se voyait en passe d’y être un jour aussi puissant que le roi [1]. » Joignez à ceci le passage de Mézerai que je cite dans la remarque suivante.

Au reste, je ne prétends pas établir un parallèle entre Faustine et la reine Éléonor. Les plus médisans ne disent pas de celle-ci ce que l’histoire dit de Faustine. Elle allait elle-même choisir des galans au bord de la mer, parmi des bateliers et des matelots, et cela parce que pour l’ordinaire ils allaient nus [2]. On entend bien ce que je veux dire.

(B) Le roi d’Angleterre préféra les intérêts de sa grandeur à la honte d’épouser une princesse répudiée et décriée. ] Un passage de Mézeai va nous apprendre deux choses qui étonnèrent les gens de bien et les gens d’honneur : les uns s’étonnèrent que le roi de France déférât trop aux lois sévères de l’Évangile ; et les autres, qu’un héritier présomptif de l’Angleterre ne déférât pas assez aux lois de l’honneur humain. « Louis VII étant de retour de la Terre Sainte, songea à se défaire de sa méchante femme, bien qu’il en eût deux filles, Marie et Alix. Pour cet effet, ayant déclaré au pape qu’elle était sa parente au degré défendu, i fit assembler un concile à Beaugency, où les évêques secrètement avertis du vrai sujet de ce divorce, prononcèrent la nullité de ce mariage, Éléonor l’ayant aussi passionnément souhaité que lui, parce, disait-elle, qu’il était plutôt moine que roi. Et véritablement bien lui en prit, car s’il n’eût été un peu moine, il l’eût châtiée d’une autre façon, et n’eût pas été si consciencieux que de lui rendre la Guienne et le Poitou, mais il les eût confisqués pour son crime, en lui faisant au reste grâce de la vie, s’il l’avait jugé à propos. Mais il ne faut pas s’étonner s’il commit une si lourde faute en matière d’état, où il avait peu d’expérience, en ayant toujours confié les négociations, en un mot tout le gouvernement et la direction, à son ministre l’abbé Suger, lequel mourant l’année d’auparavant l’avait laissé aussi étonné que le serait un homme qui aurait perdu son guide en un pays désert et inconnu. Les plus gens de bien trouvèrent étrange cette scrupuleuse restitution, et les gens d’honneur s’étonnèrent encore de voir que Henri, à qui Étienne n’ayant point d’enfans avait après sa mort cédé le royaume d’Angleterre, épousât cette princesse dont le libertinage était si public, que le roi n’eût jamais pensé qu’un simple gentilhomme eût la lâcheté de mettre ce déshonneur dans sa maison [3]. »

  1. Le père d’Orléans, Histoire des Révolutions d’Angleterre, tom. I, pag. 153, 154.
  2. Cujus (M. Aurelii Antonini) divina omnia domi militiæque facta concultaque : quæ imprudentia regendæ conjugis attaminavit : quæ in tantùm petulantiæ proruperat, ut in Campaniâ sedens amæna littorum obsideret ad legendos ex nauticis quia plerumque nudi agunt, aptiores. Aurel. Victor., in Cæsaribus, p. m. 131.
  3. Mézerai, Hist. de France, vol. II, p. 103.