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LIPSE.

Il faut convenir, comme Baudius l’assure, que les lois de la générosité ne permettent pas que l’on se prévaille de ce qu’un homme peut avoir écrit confidemment à ceux avec qui il entretient commerce de lettres. Les païens n’ignoraient pas cette vérité ; car voici comment on relança Marc Antoine, qui avait récité devant le sénat quelques lettres qu’il avait reçues de Cicéron. At etiam litteras, quas me sibi misisse diceret, recitavit, homo et humanitatis expers, et vitæ communis ignarus. Quis enim unquàm qui paulùm modò bonorum consuetudinem nôsset, litteras ad se ab amico missas, offensione aliquâ interpositâ, in medium protulit, palàmque recitavit ? Quid est aliud tollere è vitâ vitæ societatem, quàm tollere amicorum colloquia absentium ? Quàm multa joca solent esse in epistolis, quæ prolata si sint, inepta videantur ? quàm multa seria, neque tamen ullo modo divulganda ? Sit hoc inhumanitatis tuæ[1]. Bien des gens croient qu’en faveur de la religion il est permis de violer cette belle loi, c’est-à-dire lorsqu’on peut décrier un homme qui a écrit contre notre religion, ou qui par sa révolte pourrait ébranler la foi des simples ; et ainsi ils ne font point de scrupule de publier jusqu’à des billets de cet homme-là, s’il leur en tombe des copies entre les mains. Ils seraient peut-être plus scrupuleux, s’ils étaient eux-mêmes la personne à qui l’on aurait écrit ces billets ; car il n’est pas aussi contraire à la loi dont nous parlons, de publier une lettre qu’un autre a reçue, que de publier une lettre que l’on a reçue soi-même. Voyez l’avertissement des Considérations générales sur le livre de M. Brueys, imprimées à Roterdam en 1684. On y divulgue un secret que M. Brueys avait écrit à un ami. Voyez aussi les Nouvelles de la République des Lettres[2], dans l’extrait des Dialogues de Photin et d’Irénée, où l’on inséra une lettre de M. Ranchin. Le jurisconsulte Baudouin reproche à Calvin d’avoir imprimé plusieurs lettres qu’il lui avait écrites[3]. Voyez le père Quesnel contre la sentence de l’archevêque de Malines, fondée en partie sur les papiers qu’on lui avait saisis. Il cite Nicol. de Clemangis, epist. XLIII.

(F) Quelques-uns disent que sa femme était une très-méchante femme. ] « Le bon homme Lipse qui avait une méchante femme, a dit quelque part en ses épîtres, qu’il y a quelque secret du destin dans les mariages[4]. » Voici le passage dont Patin entend parler : Uxorem duxi, dit Lipse[5], mei magis animi quàm amicorum impulsi. Sed, ut ille ait[6], τὸ μὲν ἄρ που ἐπέκωσαν θεοὶ αὐτοί, à Diis fataliter hoc decretum, et concorditer sanè viximus, fructus tamen matrimonii, id est liberorum, exsortes. On a cru que Lipse ne changea de religion qu’à cause de son ambition, et de l’importunité de sa femme, qui était extraordinairement superstitieuse. M. Teissier[7] assure cela sur la foi de Scaliger, dont il cite la CXXe. lettre du IIe. livre. J’ai parlé à des gens qui m’ont fait des contes de l’humeur bourrue de cette femme. Ils les avaient ouï faire à des veillards qui avaient vu Lipse.

Quelques marchands du Pays-Bas racontèrent à Florimond de Rémond, l’an 1600, que Lipse s’était marié. Il l’en félicita ; mais Lipse lui répondit que cette nouvelle l’avait bien fait rire, et qu’il y avait long-temps qu’il était dans cette prison. At de conjugio, quod tu à mercurialibus nostris audieras, quàm risum mihi movit ! Ego, vir optime, non recens in eam nassam veni, sed annos jam viginti-sex custodia hæc me habet. Liberos tamen nullus genui, nec hunc conjugii fructum aut lenimentum Deus dedit[8].

(G) Son écriture était très-mauvaise. ] Il l’avoue lui-même, et il réfute par-là ceux qui prétendaient avoir

  1. Cicero, Philipp. II, cap. IV.
  2. Mois de décembre 1685, pag. 1337.
  3. Balduin., Respons. II ad Jo. Calvin., pag. 56.
  4. Patin, lettre CCXCIV, pag. 565 du IIe. tome.
  5. Epist. LXXXVII, centur. III miscell., pag. m. 313.
  6. Voici ce que dit Aubert le Mire, dans la Vie de Lipse, pag. 12 : Sed ut ille ait, sic erat in fatis, et fatalem viro fæminæque torum esse Euripides olim monuit, Lipsius usu didicit.
  7. Additions aux Éloges, tom. II, p. 383.
  8. Lipsius, epist. LXXII, centur. ad Germanos et Gallos, pag. m. 705.