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LIPSE.

Juste Lipse. Ils déclarèrent qu’ils estimaient très-particulièrement ce professeur. Cet acte ne le contenta pas pleinement, et il ne fut pas bien aise d’apprendre que Koornhert, relevé d’une longue maladie, travaillait à répliquer. On dit que par la faveur de quelques villes il tâcha d’obtenir que les états de Hollande défendissent de réfuter ses écrits de politique ; mais que Gérhard de Lange, bourgmestre de Tergou, s’y opposa en se servant de ce discours : Si ce que Lipse a écrit est vrai, on ne pourra le combattre que faiblement, et nous y serons confirmés par celle faiblesse même des écrits que l’on publiera contre : mais si quelqu’un y découvre ce que nous n’y voyons pas, quelque fausseté dommageable à la patrie, quel mal peut faire la correction ? Lipse se retira de Hollande peu après, sous prétexte d’aller faire un petit tour aux eaux de Spa pour le bien de sa santé. Il ne revint plus, il rentra dans le papisme, et protesta dans une lettre qu’il écrivit de Mayence[1], qu’il avait toujours été de l’ancienne religion, quoiqu’il en eût professé une autre quand il s’était trouvé aux lieux où l’ancienne n’était pas reçue. Cela fait croire à bien des gens que c’était un hypocrite. Quelques-uns crurent que le chagrin que lui causa Koornhert, et la crainte que les Hollandais ne succombassent dans la guerre contre l’Espagnol[2], le firent changer de parti. Quoi qu’il en soit, Koornhert, détenu au lit, et atteint de la maladie dont il mourut, ne laissa pas de travailler à sa réplique, et de l’achever. Ses héritiers la firent traduire du flamand en latin, et la publièrent[3].

Il faut noter que Lipse avait fait couler quelque petit mot contre l’inquisition espagnole, aux premières éditions, mais il l’ôta des suivantes. Boéclérus lui a dit là dessus ses vérités dans le chapitre de nævis Lipsiani operis, qui est le Ve. de son Traité de Politicis Justi Lipsii. Lisez ces paroles[4] : Illud non omittendum est, quo seipsum prodit damnatque Lipsius ; æterno cum dedecore famæ, quam unam videtur in omni vitâ quæsivisse. Cùm enim in prioribus Politicorum suorum editionibus lib. 4, cap. 4, pro libertate religionis, adversùs pontificiam crudelitatem et Hispanicam inquisitionem (quam nemo bonus unquàm probavit) quædam scripsisset : in posterioribus editionibus, tanquàm non à religione modò, sed à sanâ simul mente defecisset, partim omisit ea (scilicet quæ in Freinshemianâ editione reponuntur n. 7, 9, 12) partim simpliciter et ingenuè dicta mutavit. Boéclérus rapporte quelques autres changemens des expressions de cet homme.

(D) On lui avait offert une profession à Pise, avec promesse qu’il y jouirait de la liberté de conscience. ] Acidalius raconte[5], que Mercurial, négociateur de l’affaire, lui avait dit que le grand-duc avait fait offrir à Lipse une chaire de professeur dans l’académie de Pise, avec le privilége de croire tout ce qu’il voudrait sur la religion, et que ce prince avait obtenu à Rome cette tolérance pour ce savant homme. En même temps Acidalius ajoute que le bruit courait que ce professeur avait embrassé la foi romaine en Allemagne, et il assure que Lipse, en refusant la chaire de Pise, n’avait allégué pour raison que l’infirmité de sa santé, et la distance des lieux, viæ longinquitatem, et valetudinis imbecillitatem. Il n’avait garde d’alléguer son protestantisme ; car il était assez disposé à la profession publique de la religion romaine. Mais néanmoins nous voyons ici qu’on le prenait en Italie pour un très-bon calviniste, puisqu’on lui négocia à Rome la liberté de conscience. Il y a deux lettres de Lipse[6] d’où nous pouvons inférer qu’Acidalius était bien

  1. Ce fut chez les jésuites de Mayence qu’il fit son abjuration. Il souhaita qu’elle demeurât cachée pendant quelque temps. Voyez Miræus, in Vitâ Lipsii, pag. m. 17.
  2. Voyez Grotius, Histor., lib. V, pag. m. 378.
  3. Tiré de quelques extraits latins que l’on m’a communiqués de l’Histoire flamande de la Réformation de Gérhard Brandt, pag. 765 et seq., ad ann. 1590.
  4. Boeclerus, de Polit. Lipsii, pag. 55, 56.
  5. Dans sa IIe. lettre, écrite de Boulogne le mois de janvier 1592.
  6. La Ire. de la centurie ad Italos et Hispanos, et la IIIe. de la IIIe. centurie ad Belgas. Dans celle-ci il dit que le pape l’exhortait de venir à Rome : Ipse pontifex caput nostrum recenter nunc me Romam invitavit.