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LIPSE.

LIPSE (Juste), en latin Lipsius[* 1], a été un des plus savans critiques qui aient fleuri au XVIe. siècle. Je pourrais rapporter beaucoup de choses curieuses sur son chapitre ; mais comme d’autres[a] les ont déjà ramassées, et n’ont pas même oublié ce qui concerne son éducation et la prématurité de sa science[b], je me vois réduit à ne parler que de ce qu’ils ont négligé. Un des plus grands défauts qu’on reproche à Lipse est l’inconstance en matière de religion (A). On fonde ce blâme sur ce qu’étant né catholique il professa le luthéranisme pendant qu’il fut professeur à Iène[c]. Ensuite, étant retourné dans le Brabant, il y vécut à la catholique : et puis, ayant accepté une charge dans l’académie de Leyde, il y fit profession de ce qu’on nommait le calvinisme. Enfin il sortit de Leyde, et s’en retourna au Pays-Bas espagnol, ou non-seulement il vécut dans la communion romaine, mais aussi il se jeta dans une bigoterie de femme ; ce qu’il témoigna par des livres imprimés (B). Ce qu’il y eut d’étrange dans sa conduite, et qui ne lui a pas été pardonné, fut qu’étant à Leyde dans la profession extérieure de l’église réformée, il approuva publiquement les principes de persécution qui se pratiquaient par toute l’Europe contre cette église. On l’embarrassa étrangement lorsqu’on lui fit voir les conséquences de son dogme (C) ; et ce fut sans doute l’une des raisons qui l’obligèrent à sortir de la Hollande. On lui avait offert une profession à Pise, avec promesse qu’il y jouirait de la liberté de conscience (D) ; mais il refusa cette vocation. Il se fixa à Louvain, où il enseigna les belles-lettres d’une manière qui lui fut glorieuse ; et il y mourut le 23 de mars 1606, dans sa cinquante-neuvième année. Il se trouva des protestans qui ne secondèrent pas la passion de quelques-uns de leurs confrères, pour diffamer ce savant homme (E). Il se maria à Cologne avec une veuve, environ l’an 1574, et il n’en eut point d’enfans. Quelques-uns disent que c’était une très-méchante femme (F) ; mais il assure qu’il vécut en paix avec elle. Je ne sais si je dois dire que son écriture était très-mauvaise (G), et que sa conversation et sa mine ne répondaient point à l’idée qu’on s’était faite de lui (H). Ses amis ne l’abandonnèrent point après sa mort à la critique de ses adversaires (I) ; mais il était difficile en bien des choses de faire son apologie. Je ne mets point en ce rang-là ce que le père Garasse se crut obligé de censurer[d]. Lipse se vit accusé plus d’une fois d’avoir été plagiaire, et ne voulut point demeurer d’accord qu’on l’en accusât justement (K). On a mis entre les plus grands

  1. * Joly renvoie au tome XXIV des Mémoires de Niceron, en ajoutant que dans les Antiquitates romanæ de Kipping, réimprimées à Leyde, en 1713, in-8o., on voit divers Traités de Juste Lipse qui ne se trouvent pas dans le recueil de ses œuvres.
  1. M. Teissier, Additions aux Éloges de M. de Thou, tom. II, pag. 381 et 432 ; Bullart, Académies des Sciences, tom. II, pag. 193.
  2. Baillet, Ènfans célèbres, pag. 184.
  3. Cette profession dura un peu plus d’un an. Lipsius, epist. LXXXVII, cent. III Miscellan., pag. m. 313. Il sortit d’Iène le 1er. de mars 1574. Idem, epist. LXVIII, cent. ad German. et Gallos, pag. 702.
  4. Voyez la remarque (I).