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HENRI IV.

droicts et pouvoirs, que de donner le moindre subject de parler mal de sa foy, blâmant tousjours les princes infideles et cauteleux, jusques à ses prédeccsseurs mesmes, quand on tomboit sur quelque acte, auquel ils avoient manqué de preud’homie en leurs promesses et foy publique, comme il fit un jour qu’on discouroit devant luy des grandes affaires qu’avoit eues le roy Philippe de Valois, et de son grand courage peu secondé par la fortune. Il estoit grand (ce dit le roy) : mais il avoit des subtilitez en ses paroles, plus seantes à des enjoleurs de petits enfans qu’à un roy, comme estoit ceste-cy que je n’approuve pas. Il avoit traicté avec l’empereur Louys de Bavieres, et promis par le traicté de ne faire la guerre à l’Empire, contre lequel néantmoins il dressa des armées par mer et par terre, lesquelles il jetta ès Pays-Bas, sous la conduite du duc de Normandie son fils aisné, qui fut deffaict sur mer à l’Escluse, et ayant assiegé la ville de Thin, le roy son père estoit en ce siege, comme soldat combattant sous son fils, et estant néantmoins l’un de ses conseillers, estimant par ceste captieuse équivocation ne pouvoir estre blamé de rompre le traicté qu’il avoit fait comme roy de France, comme si ce n’estoit pas la mesme chose, faire quelque entreprise par soy-mesme, ou le faire par autruy [1]. » Il n’y a pas long-temps qu’un docteur avec qui je me promenais me dit qu’Henri IV, ayant entendu réciter une tromperie du roi d’Espagne, s’était écrié : Il faut avouer que les rois sont de grands fripons. Je lui demandai tout aussitôt s’il avait trouvé cela dans quelque livre ; et il me répondit que c’était l’un des bons mots de Henri IV [* 1] dans le Recueil qui en a été publié à la fin de son Histoire, composée par l’évêque de Rhodez [2], précepteur de Louis XIV. J’en doute fort, lui répliquai-je : j’ai lu autrefois d’un bout à l’autre cet ouvrage de M. de Péréfixe, et il ne me reste aucune idée de ce que vous m’avez dit : cependant ce sont des termes si capables de faire impression, qu’on les oublie malaisément. Je vérifiai ensuite que cela ne se trouve point dans l’ouvrage de l’évêque de Rhodez, et je l’écrivis au docteur. Il m’a fait dire qu’après y avoir mieux pensé, il croit que l’exclamation d’Henri IV est rapportée dans l’une des Lettres anglaises d’Howel. Je ne raconte ceci que par forme d’avertis-

  1. (*) Il s’en voit un recueil, mais il y manque deux réparties, que fit ce prince âgé seulement de quinze ans, et que son auguste mère, l’illustre Jeanne d’Albret, reine de Navarre, nous a conservées. La reine-mère Catherine de Médicis, de concert avec le cardinal de Lorraine, avait envoyé vers la reine de Navarre le sieur de la Motte-Fénélon, pour la détourner de joindre ses forces à celles que, sous le commandement du prince de Condé, les réformés assemblaient en 1568, à la veille de la troisième guerre civile. Comme un jour la Motte-Fénélon, s’adressant en particulier au prince de Navarre, affectait de paraître surpris de ce que lui, si jeune encore, prenait parti dans une querelle qui ne regardait proprement que le prince de Condé, son oncle, et les huguenots qui faisaient la guerre au roi : C’est, lui repartit le jeune prince, qu’étant visible que, sous le prétexte de la rébellion qu’on impute ici faussement au prince, mon oncle, et aux huguenots, nos ennemis ne se proposent pas moins que d’exterminer toute la branche royale de Bourbon, nous voulons mourir tous ensemble pour éviter les frais du deuil, qu’autrement nous aurions à porter les uns des autres.

    Une autre fois le même, adressant encore la parole au prince de Navarre, déplorait les malheurs dont le feu de cette guerre allait, disait-il, inonder tout le royaume. Bon ! réplique le prince, c’est un feu à éteindre avec un seau d’eau. Comment cela ? demande la Motte-Fénélon. En faisant, dit le prince, boire ce seau d’eau jusqu’à crever au cardinal de Lorraine, vrai et principal boute-feu de la France. C’est la reine de Navarre elle-même qui, pag. 234 et 235, d’un recueil imprimé in-12, en 1570, sous le titre d’Histoire de notre temps, etc., rapporte cela dans un grand et beau manifeste de sa façon. Je ne sais, au reste, si cette vivacité du roi Henri IV ne lui venait pas bien aussitôt du côté maternel, que de celui de son père Antoine de Bourbon, à qui d’ailleurs notre histoire ne donne que des qualités assez médiocres : et ce qui encore ne fait pas peu ici pour la mère, c’est une raillerie fine que dans ce manifeste, pag. 236 et 237, cette princesse fait de Descars, gentilhomme limosin, qui s’était ridiculement vanté au roi et à la reine-mère, qu’il avait à son commandement quatre mille gentilshommes pour empêcher qu’un seul huguenot ne branlât pour joindre l’armée du prince de Condé. Comme néanmoins la reine de Navarre et ses troupes passèrent sans obstacle, et que d’ailleurs Descars n’était pas d’une distinction à se faire suivre par un aussi grand nombre de noblesse volontaire : Apparemment, dit-elle, que par ces quatre mille gentilshommes, Descars, Limosin, entendait des pourceaux, appelés gentilshommes dans son village, parce qu’ils sont vêtus de soye. Remarquez ici en passant l’origine du nom de Pourceaugnac. Rem. crit.

  1. Baptiste le Grain, décade du roi Henri-le-Grand, liv. VIII, pag. m. 781.
  2. Hardouin de Péréfixe.