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HENRI IV.

Nérac.[1] L’un et l’autre des deux époux furent mécontens de se revoir.[2] Marguerite, qui aimait le grand éclat de la cour de France, où elle nageait, s’il faut ainsi dire, en pleine intrigue, croyait qu’être en Guienne, c’était un bannissement pour elle ; et Henri, connaissant son humeur et sa conduite, l’eût mieux aimée loin que près. Toutefois, comme il vit que c’était un mal sans remède, il se résolut de la souffrir, et lui laissa une entière liberté[3]… Et, s’accommodant à la saison et au besoin de ses affaires, il tâchait de tirer des avantages de ses intrigues et de son crédit. Il n’en reçut pas un petit dans la conférence que lui et les députés des Huguenots eurent à Nérac avec la reine-mère. Car, tandis qu’elle pensait les enchanter par des charmes des belles filles qu’elle avait avec elle, et par l’éloquence de Pibrac, Marguerite lui opposa les mêmes articles, gagna les gentilshommes qui étaient auprès de sa mère par les attraits de ses filles, et elle-même employa si adroitement les siens, qu’elle enchaîna l’esprit et les volontés du pauvre Pibrac [* 1], de sorte qu’il n’agissait que par son mouvement, et tout au rebours des intentions de la reine-mère ; laquelle ne se défiant pas qu’un homme si sage pût être capable d’une telle folie, y fut trompée en plusieurs articles, et portée insensiblement à accorder beaucoup plus aux Huguenots qu’elle n’avant résolu. »

(P) Par un bonheur inconnu à tous ses prédécesseurs, il fit un traité de paix où il se dédommagea de ses pertes. ] Bodin[4] observe que, depuis cent ans, les Espagnols n’avaient fait aucun traité avec la France sans y avoir eu l’avantage. Il avait raison de parler ainsi : Henri IV est le premier roi de France qui ait gagné quelque chose en faisant la paix avec l’Espagne. Il recouvra toutes les places qu’il avait perdues en Picardie : il recouvra Blavet dont les Espagnols étaient maîtres. Cette paix n’échappa point à la critique. Il y eut des gens qui blâmèrent le roi d’Espagne ; il y en eut aussi qui blâmèrent le roi de France. Citons M. de Péréfixe. Plusieurs d’entre les Français, qui ne savaient pas au vrai le pitoyable état où était le roi d’Espagne et ses affaires, ne pouvaient comprendre comment ce prince avait acheté la paix si cher, que de rendre six ou sept bonnes places, entre autres Calais et Blavet, qu’on pouvait nommer les clefs de la France. Les Espagnols au contraire, qui voyaient que leur roi était moribond, ses finances épuisées, les Pays-Bas ébranlés, le Portugal et ses terres d’Italie sur le point de se révolter, le fils qu’il laissait, bon prince à la vérité, mais qui aimait bien le repos, s’étonnaient que les Français, ayant si bravement repris Amiens, et réuni toutes leurs forces après de traité du duc de Mercœur, n’eussent pas poussé dans les Pays-Bas, parce qu’apparemment ils les eussent emportés ou fort ébréchés. Le roi répondait que s’il avait désiré la paix, ce n’était pas qu’il s’ennuyât des incommodités de la guerre, mais pour donner moyen à la chrétienté de respirer : qu’il savait bien que dans la conjoncture où étaient les choses, il en eût pu tirer de grands avantages ; mais que la main de Dieu renversait souvent les princes dans leurs plus grandes prospérités ; et qu’un sage ne devait jamais, pour l’opinion de quelque événement favorable, s’éloigner d’un bon accord, ni se fier trop sur l’apparence du bonheur présent, qui peut changer par mille accidens imprévus ; étant arrivé bien souvent qu’un homme atterré, et fort blessé, a tué celui qui lui voulait faire demander la vie[5]. Cette réponse d’Henri IV ne s’accorde point avec ce que d’autres veulent qu’il ait dit au duc d’Épernon, qui était présent à la signature du traité de paix : Avec ce coup de plume, je viens de faire plus d’exploits que je n’en

  1. * Voyez, tom. XI, la remarque (P) de l’article Navarre (Marguerite de Valois, reine de.)
  1. Là même, pag. 53.
  2. Là même.
  3. Là même, pag. 58.
  4. Bodin, de la République, liv. V, chap. I, pag. m. 676.
  5. Péréfixe, Histoire de Henri-le Grand, pag. 262, 263. Notez que Pierre Matthieu, Histoire de la Paix, liv. I, narrat. III, pag. m. 69. rapporte qu’Henri IV dit une parte de ces choses aux ambassadeurs d’Espagne, qui vinrent assister à son serment.