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HENRI IV.

passer à chacun vers ou couplet, le coup ou revers d’un bâton, le long de la tête, des épaules, et du dos jusqu’aux pieds, de la tête de ce psaume jusqu’aux veaux. Du Perron en ses lettres, folio 172, fait voir le procès verbal de l’absolution de ce roi, par le pape Clément VIII...... D’Ossat, son compagnon en la pénitence royale, montre combien douce elle a été. En l’instruction de l’inquisition il y avait cette hyperbolique expression [1] : Quand les chantres chantaient Miserere meî, le pape à chacun verset verberabat et percutiebat humeros procuratorum cujuslibet ipsorum virgâ quam in manibus tenebat. C’est une cérémonie laquelle nous ne sentions non plus, que si une mouche nous eût passé par-dessus les vêtemens.

(L) Jeanne d’Albret que son mari avait assez maltraitée. ] Le leurre dont on se servit pour le détacher de la nouvelle religion, fut de lui promettre le royaume de Sardaigne. Il fut assez simple pour se fier à ces promesses ; et il commença de se distraire de ceux de la religion peu à peu et de mener une fort mauvaise vie à la royne sa femme, luy estans tendus tous les filets par lesquels un homme ainsi adonné aux femmes qu’il estoit, pouvoit estre surpris : ainsi peu à peu oubliant toute autre chose n’eut plus en sa teste que Sardaigne et les femmes, entre lesquelles une certaine fille de la royne commença avoir bonne part. La royne de Navarre cependant, comme princesse tres-sage et vertueuse qu’elle estoit, taschoit de le reduire, supportant tout ce qu’elle povoit, et luy remonstrant ce qu’il devoit à Dieu et aux siens. Mais ce fut en vain, tant il estoit ensorcellé. Quoy voyant elle n’avoit recours qu’aux larmes et aux prieres, faisant pitié à tout le monde fors audit sieur roy son mari. La royne mere en ces entrefaites taschoit de luy persuader de s’accommoder au roy son mari. A quoy finalement elle feit ceste reponse, que plustost que d’aller jamais à la messe, si elle avoit son royaume et son fils en la main, elle les jetteroit tous deux au fond de la mer, pour ne luy estre en empeschement : ce qui fut cause qu’on la laissa en paix de ce costé [2].

(M) Les réponses que certains auteurs lui font faire sont des fantaisies de leur cerveau. ] Pendant le massacre, Charles IX fit venir dans son cabinet le roi de Navarre et le prince de Condé, et leur déclara que s’ils ne renonçaient à l’hérésie, ils seraient traités comme l’amiral. Le roi de Navarre, extrêmement étonné de ces mots prononcés avec une voix menaçante, et de l’effroyable spectacle qu’il avait vu devant ses yeux, répondit fort humblement et en tremblant, qu’il priait sa majesté de laisser leur vie et leur conscience en repos, et que du reste ils étaient prêts de lui obéir en toutes choses [3]. Quoique je me serve des paroles de Mézerai, l’on peut être sûr que c’est toute la même chose que si j’employais les propres termes d’un historien calviniste ; car d’Aubigné [4] rapporte de la même manière la réponse du roi de Navarre ; et voici en quoi elle consiste dans l’Inventaire de Jean de Serres. « Le roi de Navarre supplie sa majesté se souvenir de sa promesse, de la consanguinité n’a guère contractée, et ne le point violenter en la religion qu’il a dès son enfance apprise [5]. » L’auteur de l’histoire des Choses Mémorables n’en dit pas davantage. Celui des Commentaires de statu religionis et reipublicæ in regno Galliæ, n’est pas plus prolixe à l’égard du sens, quoiqu’il emploie plus de mots [6] ; et notez qu’il remarque expressément que la réponse fut faite d’une voix tremblante [7]. Ainsi voilà quatre écrivains protestans qui sont conformes à Mézerai. On ne peut donc pas avoir pour suspecte la bonne foi de celui-ci. Cela étant, ne doit-on pas se moquer de l’historien qui allonge de trois ou quatre pages la réponse dont

  1. D’Ossat, Lettres, folio 172.
  2. Bèze, Histoire ecclésiast. des églises, liv. IV, pag. 688, à l’ann. 1561.
  3. Mézerai, Histoire de France, tom. III, pag. 257.
  4. D’Aubigné, tom. II, liv. I, chap. IV, pag. m. 547.
  5. Invent. de l’Histoire de France, tom. II, pag. m. 704.
  6. Lib. X, folio m. 35.
  7. Quæ tamen humilissimo animo et consternato ore ab illo dicebantur. Ibidem.