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HENRI IV.

voulait être l’un des meurtriers de la reine-mère.

(H) Ses deux femmes... lui causèrent mille chagrins. ] Il n’est pas nécessaire de prouver cela à l’égard de Marguerite de Valois : alléguons donc seulement la preuve qui se rapporte à Marie de Médicis. « La haute estime et l’affection que les Français avaient pour lui [1] empêchaient que l’on ne s’offensait si fort de ce libertinage scandaleux ; mais la reine, sa femme, en avait un extrême chagrin, qui causait à toute heure des picoteries entre eux, et la portait à des dédains, et à des humeurs fâcheuses. L’ennui et le déplaisir de ces brouilleries domestiques retardaient assurément l’exécution du grand dessein qu’il avait formé, pour le bien et le repos perpétuel de la chrétienté, et pour la destruction ensuite de la puissance ottomane [2]. »

(I) Ce qu’il pensait sur le mariage est très-curieux. ] J’ai à citer un fort long passage ; néanmoins je suis assuré qu’il paraîtra court aux lecteurs curieux : car il contient une espèce de critique d’un bon nombre de princesses, et un raisonnement fort solide de Henri IV sur le choix d’une femme. Voici ce qu’il disait à monsieur de Rosni, son favori [3]. « De sorte qu’il semble qu’il ne reste plus pour l’accomplissement de ce dessein, sinon de voir s’il y aura moyen de me trouver une autre femme, si bien conditionnée que je ne me jette pas dans le plus grand des malheurs de cette vice, qui est (selon mon opinion) d’avoir une femme laide, mauvaise, et despite, au lieu de l’ayse, repos, et contentement que je me serois proposé de trouver en cette condition : que si l’on obtenoit les femmes par souhait, afin de ne me repentir point d’un si hazardeux marché, j’en aurois une, laquelle auroit, entr’autres bonnes parties, sept conditions principales, à sçavoir ; beauté en la personne, pudicité en la vie, complaisance en l’humeur, habileté en l’esprit, fécondité en generation, eminence en extraction, et grands estats en possession. Mais je croy (mon amy) que cette femme est morte, voire peut-estre n’est pas encor née ny preste à naistre, et partant voyons un peu ensemble quelles filles ou femmes, dont nous ayons ouy parler, seroient à desirer pour moy, soit dehors, soit dedans le royaume. Et pource que j’y ay déjà (selon mon advis) plus pensé que vous : je vous diray pour le dehors que l’infante d’Espagne, quelque vieille et laide qu’elle puisse estre, je m’y accommoderois, pourveu qu’avec elle j’espousasse aussi les Pays-Bas, quand ce devroit estre à la charge de vous redonner le comté de Bethune ; je ne refuserois pas non plus la princesse Reibelle [4] d’Angleterre, si, comme l’on publie que l’estat Iuy appartient, elle en avoit esté seulement declarée presomptive heritiere : mais il ne me faut pas attendre à l’une ny à l’autre, car le roy d’Espagne et la roine d’Angleterre sont bien esloignez de ce dessein-là. L’on m’a aussi quelquefois parlé de certaines princesses d’Allemagne, desquelles je n’ay pas retenu le nom, mais les femmes de cette region ne me reviennent nullement, et penserois, si j’en avois espousé une, devoir avoir tousjours un lot de vin couché aupres de moy, outre que j’ay ouy dire qu’il y eut un jour une reine en France de cette nation, qui la pensa ruyner ; tellement que tout cela m’en dégouste. L’on m’a parlé aussi de quelqu’une des sœurs du prince Maurice ; mais outre qu’elles sont toutes huguenottes, et que cette alliance me pourroit mettre en soupçon à Rome, et parmy les zelez catholiques, qu’elles sont filles d’une nonnain ; et quelque autre chose, que je vous diray une autre fois, n’en aliene la volonté. Le duc de Florence a aussi une niepce que l’on dit estre assez belle ; mais estant d’une des moindres maisons

  1. C’est-à-dire, pour Henri IV.
  2. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 463, à l’ann. 1609.
  3. Mémoires de Sully, tom. II, pag. 112, édition de Hollande, in-12.
  4. Je donne ce mot comme je le trouve dans mon édition.