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HENRI IV.

échût, n’y ayant jamais eu de succession plus éloignée que celle-là en aucun état héréditaire ; car il y avait dix à onze degrés de distance de Henri III à lui ; et quand il naquit il y avait neuf princes du sang devant lui, savoir : le roi Henri II et ses cinq fils, le roi Antoine de Navarre son père, et deux fils de cet Antoine, frères aînés de notre Henri. Tous ces princes moururent pour lui faire place à la succession [1]. »

(F) Des historiens disent que sa mort lui avait été prédite le jour précédent. ] Commençons cette remarque par les paroles de Pierre Matthieu [2]. « Sur ce la Brosse scavant medecin et mathematicien dict au duc de Vendosme, en suite d’un plus grand discours, que si le roy pouvoit éviter l’accident dont il estoit menacé, il vivroit encores trente ans. On ne veut jamais dire aux roys ce qui leur peut donner de l’ennui : le duc de Vendosme, trouvant plus à propos que la Brosse fust le porteur de son advis, supplia le roy de l’ouïr, le roy demanda ce qu’il vouloit. À ceste parole le duc de Vendosme se taist, son silence augmente l’envie de le sçavoir, il le presse, il s’excuse, à la fin le commandement du roy tire de sa bouche ce que la Brosse luy avoit dict. Vous estes un fou, dict le roy : vous le croyez ? Sire, respond le duc de Vendosme, en ces choses la creance est deffendue et non pas la crainte, le salut de vostre majesté oblige tout le monde, et moy plus que tous les autres, à ne rien mespriser ; je la supplie tres-humblement d’avoir agreable de l’entendre. Le roy ne le voulut, et luy deffendit d’en parler : je ne puis de moins, dict le duc, que d’en advertir la royne. Le roy repliqua par deux fois que s’il luy en parloit il ne l’aimeroit jamais. Ainsi la Brosse est renvoyé. Je tiens ce discours, mot à mot, du duc de Vendosme. » Cela est bien positif ; mais voici une chose qui ne l’est pas moins, quoiqu’elle renverse de fond en comble le narré de Pierre Matthieu : Tant il est vrai, c’est un philosophe qui parle [3], que la pluspart des historiens sont credules et menteurs, et que par là ils confirment tousjours la credulité et le mensonge des pronostiques, quand ils rapportent ces comptes sans les refuter. Mais, sans aller plus loin, pourquoy les anciens ne l’auroient-ils pas fait, puis que nous le voyons souvent faire de nostre temps ? Un de nos historiens parlant de la mort de nostre Grand Henry IV n’a-t-il pas dit qu’en ayant esté averty par un prince encore vivant (qu’il n’est pas nécessaire de nommer) la veille que ce malheureux coup arriva, sa majesté meprisant cet advis luy avoit repondu que la Brosse estoit un vieil fol d’astrologue, et le reste. Ce qu’avant moy-même voulu apprendre par la bouche de ce prince [* 1], il y a plus de 30 ans en presence d’une princesse [* 2] de grand mérite, il me fit l’honneur de me dire que cela estoit faux. Et depuis deux jours en ça seulement, pour m’en éclaircir davantage, et ne rien publier par escrit de cette consequence sans en estre bien asseuré, j’ay eu l’honneur de luy en reparler en presence de plusieurs personnes de sa maison, et il m’a confirmé la mesme chose ; adjoustant de plus que l’historien [* 3] avoit confondu les temps et les choses : et que la Brosse luy avoit bien dit après ce malheureux accident qu’il l’avoit preveu par l’horoscope de sa majesté (comme font toujours les astrologues quand les choses sont arrivées), mais non pas qu’il l’en eust averty la veille pour le dire à sa majesté. Cela est pourtant écrit par un auteur françois, et du mesme temps. Qui ne le croira donc pas à l’advenir ? Pensera-t-on qu’un homme destiné et payé pour faire l’histoire ose dire une chose de cette consequence, et citer mesme un prince vivant qui en pouvoit rendre temoignage, si elle n’estoit pas vraye ? Il est pourtant comme je le dis ; et si

  1. (*) M. de Vendôme.
  2. (*) Madame de Chevreuse.
  3. (*) Matthieu.
  1. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 514.
  2. Relation de la mort de Henri IV, pag. m. 24.
  3. Pierre Petit, intendant des fortifications, Dissertation sur les Comètes, pag. 89.