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HENRI IV.

une chose assez capable de déplaire (T). On ne peut nier que ce prince n’ait eu un grand fonds de générosité qui éloignait de sa conduite une infinité de ruses qu’on ne remarque que trop dans ceux qui gouvernent. Nous verrons sur ce sujet le jugement (U) qu’il porta de l’artifice dont un roi de France s’était servi [* 1].

  1. * Dans l’édition commencée à Leipsic en 1801, et qui n’a pas été terminée, du Dictionnaire de Bayle, on a cousu à la fin de cet article, et comme si c’était du texte de l’auteur, un assez long passage lardé de remarques à l’instar de Bayle, le tout extrait des chapitres IV et XXVIII de la quatrième partie de la Réponse aux questions d’un provincial. Il est impossible d’approuver la forme de l’addition des éditeurs de Leipsic ; et, pour le fond, il est plus simple de renvoyer aux chapitres qui viennent d’être cités de la Réponse aux questions d’un provincial.

(A) Si l’amour des femmes lui eût permis de faire agir toutes ses belles qualités. ] On ne peut pas dire de lui, comme de quelques grands capitaines qui aimaient fort les plaisirs [1], qu’il y renonçait quand le bien de ses affaires le demandait ; car il laissa perdre tous les avantages de la victoire de Coutras, afin de courir vers une maîtresse. Écoutons Mézerai [2]. « La vaillance du roi de Navarre se signala bien plus en cette journée, que ne fit sa conduite à en recueillir les avantages : car bien loin de tirer droit vers l’armée étrangère, comme le prince de Condé le voulait, promettant, si on lui donnait des troupes, de s’aller saisir du passage de Saumur, il laissa séparer son armée victorieuse, s’étant contenté de prendre serment des capitaines, qu’ils se rendraient, le 20 de novembre, sur les confins de l’Angoumois et du Périgord, pour marcher vers les reîtres. Il garda seulement cinq cents chevaux, et, emmenant le comte de Soissons avec lui, perça dans la Gascogne, où le violent amour qu’il avait pour la belle comtesse de Guiche l’attirait comme par force [3]. » L’une des plus grandes affaires qu’Henri IV ait jamais eues sur les bras, fut sans doute le siége d’Amiens. Cependant il y mena la belle Gabrielle, et il la logea auprès de lui ; et il l’eût retenue pendant toute cette difficile expédition, s’il eût suivi ses désirs : mais il fut bientôt contraint d’éloigner ce scandale de la vue des soldats, non-seulement par leurs murmures qui venaient jusqu’à ses oreilles, mais aussi par les reproches du maréchal de Biron [4].

Ce que j’ai dit au commencement de cette remarque, qu’il y a eu de grands capitaines qui aimaient fort les plaisirs, et qui les quittaient au besoin, n’est pas inconnu à ceux qui savent le caractère d’Alcibiade et de Sylla. Voyez ce qu’a dit Salluste de ce dernier : Sulla.…...….. animo ingenti, cupidus voluptatum, sed gloriæ cupidior : otio luxurioso esse, tamen ab negotiis nunquàm voluptas remorata [5]. Voici ce que l’on a dit d’Alcibiade : Quàm tempus posceret, laboriosus (Alcibiades), patiens, liberalis, splendidus non minùs in vitâ, quàm victu : affabilis, blandus, temporibus callidissimè inserviens. Idem simul ac se remiserat, nec causa suberat quare animi laborem perferret, luxuriosus, dissolutus, libidinosus, intemperans reperiebatur, ut omnes admirarentur in uno homine tantam inesse dissimilitudinem, tamque diversam naturam [6]. On verra d’autres exemples dans la remarque (A) de l’article de Suréna, tom. XIII.

(B) S’il... eût été puni de la même manière que Pierre Abélard, il serait devenu capable de conquérir toute l’Europe. ] Au contraire, me dira-t-on, il serait devenu lâche et poltron ; car les mêmes esprits qui le portaient à l’amour des femmes le rendaient vaillant, et l’on n’a vu guère de grands guerriers qui n’aient été impudiques.

  1. Voyez la fin de cette remarque.
  2. Mézerai, Abrégé chronolog., tom. V, pag. 308, à l’ann. 1587.
  3. Voyez les Annot. sur les Amours du grand Alcandre, num. 3, où l’on cite le CIe. livre de M. de Thou. Voyez aussi les Remarques sur la Confession catholique de Sancy, pag. 552, édit. de 1693.
  4. Mézerai, Abrégé chronolog., tom. VI, pag. 170, à l’ann. 1595.
  5. Sallust., in Bello Jugurt., pag. m. 362
  6. Cornel. Nepos, in Alcibiade.