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HENRI IV.

te, qu’il força la ligue à le reconnaître pour roi. La ville de Paris persista dans sa révolte jusqu’au 22 de mars 1594. Je veux dire que le roi n’y fit son entrée que ce jour-là. Il déclara la guerre aux Espagnols l’année suivante, et n’eut guère de sujet d’en être content. Il y perdit beaucoup plus qu’il n’y gagna ; mais, par un bonheur inconnu à tous ses prédécesseurs, il fit un traité de paix où il se dédommagea de ses pertes (P). Ce traité fut conclu à Vervins, le 2 de mai 1598. Depuis ce jour-là jusques à sa mort le royaume fut exempt de guerres civiles et de guerres étrangères ; si vous exceptez l’expédition de l’an 1600. Elle fut entreprise contre le duc de Savoie, et dura fort peu, et fut suivie d’un traité avantageux [a], comme elle avait été accompagnée d’actions glorieuses. Si la valeur et le grand courage de ce roi n’eussent paru en cent occasions, on eût regardé sans doute comme une faiblesse, et comme un effet de timidité, les bontés immenses qu’il eut pour ses plus mortels ennemis ; mais, parce qu’on ne le pouvait soupçonner de poltronnerie, on eut beaucoup de raison de s’imaginer qu’il en usa de la sorte par une clémence généreuse. Et il est certain que la politique même la plus raffinée exigeait cela de lui : il ne pouvait convertir ses ennemis que par ce moyen : il le trouva même trop court ce moyen unique ; car il ne put convertir qu’une partie des ligueux : quantité de prêtres s’opiniâtrèrent à ne prier point Dieu pour lui (Q). On remarque dans le Dictionnaire de Moréri, que plus de cinquante historiens, et plus de cinq cents panégyristes, ou poëtes, ou orateurs, ont parlé de ce grand monarque avec éloge [* 1]. Il est certain d’un autre côté que beaucoup d’auteurs ont malignement flétri sa gloire, et se sont fort appliqués à exténuer ses bonnes actions, et à mettre en vue ses défauts. M. de Sully s’en plaint, et réfute leurs médisances, et soutient entre autres choses qu’il n’est pas vrai que ce prince se laissât extorquer par ses maîtresses tout ce qu’elles souhaitaient (R). Je crois néanmoins que s’il n’eût point eu de fidèles serviteurs qui traversaient l’avidité de ces harpies, et dont il approuvait la résistance, elles l’eussent dominé plus absolument. Les occasions où il eut la force de se démêler des piéges qu’on lui tendait par de belles filles (S) furent rares ; mais il y en eut pourtant. Ceux dont il avait éprouvé la fidélité lui pouvaient donner des avis sans qu’il s’en fâchât, et l’on n’a point ouï dire que Villeroi ait encouru sa disgrâce pour lui avoir dit

  1. * On a attribué à Henri IV une traduction des Commentaires de César, qui, s’il fallait en croire la Bibliothèque historique de la France, n°. 3880, aurait été imprimée en 1650 in-folio. M. Barbier (dans son Examen critique et complément des Dictionnaires historiques, I, 178-179) traite ce livre d’imaginaire, M. Barbier dit qu’à la Bibliothéque du Roi on trouve aujourd’hui un manuscrit qui était jadis dans la bibliothéque Séguier, et qui contient la traduction faite par Henri IV des cinq premiers livres de César. Les corrections de la main du précepteur de Henri IV, nommé la Gaucherie, autorisent à conclure que c’étaient les versions du royal écolier.
  1. Celui de l’échange de la Bresse, etc., pour le marquisat de Saluces.