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HENRI IV.

re [1] que M. de l’Estoile, l’un des quarante de l’Académie française, était fils d’un audiencier à la chancellerie de Paris, qui « avait recueilli plusieurs mémoires des affaires de son temps, desquels un de ses amis, à qui il les avait prêtés, tira le livre intitulé, Journal de ce qui s’est passé sous Henri III. » La question est de savoir si ceux qui ont manié le manuscrit avant qu’on le publiât, ou depuis qu’on l’eut publié la première fois, n’y ont rien ajouté, ou retranché, ou sophistiqué. C’est en tout cas le devoir de ceux qui s’appuieront sur cette partie du Journal de répondre aux raisons de Pierre Cayet.

    M. S. A. G. A. P. D. P. Or vous remplissez fort juste ces lettres initiales par, M. Servin, avocat-général au Parlement de Paris.

  1. Pélisson, Histoire de l’Académie française, pag. m. 330.

HENRI IV, roi de France, a été un des plus grands princes dont l’histoire de ces derniers siècles fasse mention ; et l’on peut dire que si l’amour des femmes lui eût permis de faire agir toutes ses belles qualités (A) selon toute l’étendue de leurs forces, il aurait ou surpassé ou égalé les héros que l’on admire le plus. Si la première fois qu’il débaucha la fille ou la femme de son prochain, il en eût été puni de la même manière que Pierre Abélard [* 1], il serait devenu capable de conquérir toute l’Europe (B), et il aurait pu effacer la gloire des Alexandre et des César. Ce serait en vain qu’on m’objecterait qu’un semblable châtiment lui eût ôté le courage (C). Ce fut son incontinence prodigieuse (D) qui l’empêcha de s’élever autant qu’il aurait pu faire ; mais, malgré ce puissant obstacle, il n’a pas laissé de mériter à très-juste titre le surnom qu’il porte [a]. Pour s’en convaincre il suffit de considérer les difficultés étonnantes qu’il surmonta, avant que d’être affermi sur le trône ; et l’état florissant où il remit son royaume, qu’il avait trouvé dans la plus affreuse désolation qu’on se puisse imaginer. Il hérita de cette couronne dans un degré de parenté fort éloigné (E). Nous connaîtrions apparemment, et nous admirerions beaucoup plus le fonds de son grand mérite, s’il avait vécu cinq ou six ans plus qu’il n’a fait ; car il était sur le point de commencer l’exécution d’un vaste dessein [b], lorsqu’il fut tué dans son carrosse, le 14 de mai 1610, par le nommé Ravaillac. Il y a des historiens qui disent que cela lui avait été prédit le jour précédent (F) : mais ceux qui ont approfondi cette affaire y ont trouvé de la fausseté. Il était si généreux, qu’il n’y a point d’apparence qu’il ait jamais conseillé au duc d’Alençon de se défaire de Catherine de Médicis (G). Cependant il y a des mémoires qui l’assurent. Il eut la destinée ordinaire des grands hommes, je veux dire qu’il fut malheureux dans son domestique. Les deux femmes qu’il épousa successivement, la dernière pendant la vie de la première, lui causèrent mille chagrins (H). Il méritait cela, puisqu’il tenait si peu de compte des lois sacrées

  1. * * Voltaire, dans son Essai sur les Mœurs, chap. 194, relève vivement cette phrase que Condorcet ne regarde que comme une plaisanterie
  1. On l’appelle Henri-le-Grand. Voyez, tom. III, pag. 111, la citation (47) de l’article Barclai (Jean).
  2. Voyez à l’ann. 1610, son Histoire composée par Hardouin de Péréfixe.