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HENRI III.

fit avec eux qu’ils donneroient bien ample avis au roy de ce qui se tramoit dans la ville à l’avantage de ses affaires. Il reçut quelques paroles d’eux de créance et obtint du comte de Brienne prisonnier au chasteau du Louvre un passeport pour avoir un plus favorable accez en l’armée des ennemis. Or ayant tout ce qui luy estoit nécessaire pour aller trouver le roy, il partit de Paris le dernier jour de juillet pour aller à Saint-Cloud, et prit congé des autres religieux [1], les exhortant de faire priere pour luy, leur disant qu’il alloit pour le service de Dieu delivrer les peuples de misere sans aucune espérance de retourner, et ne se soucioit point pourvû que Dieu luy fist la grace de ne faillir à son dessein, de l’évenement duquel ils oyroient parler dans 24 heures. Estant ledit jour arrivé à Saint-Cloud, il ne put trouver le moyen de parler au roy, il y passa la nuit qui luy pouvoit donner autre conseil. Le lendemain prémier aoust, il s’adressa au sieur de la Guesle, procureur général du roy en la cour de parlement de Paris, dont il s’estoit rendu absent, et luy ayant fait entendre qu’il estoit là envoyé chargé des lettres de la part des bons serviteurs du roy et de quelques paroles de créance pour choses importantes grandement au service sa majesté, il le pria aussy de le vouloir introduire pour le descharger de son devoir. Le roy en estant averti commanda qu’on luy amenast ce religieux, et se retirant à part dans son cabinet où il parla plus d’un quart d’heure à luy, et cependant luy donnoit ses lettres une à une jusqu’à la derniere ; et le roy luy ayant demandé si c’estoit tout, le religieux luy respondit, je croy que non, sire, et qu’il y en devoit encor avoir quelques-unes. Ainsy passant la main plus avant dans sa manche tira le couteau qu’il y avoit, frappant le roi au ventricule, lequel se sentant frappé jetta un cry et saisit le couteau à la main du Jacobin tenant en la blessure, duquel il l’offensa beaucoup et en donna un coup au visage du religieux, lequel receut à l’heure mesme une infinité de coups de ceux qui estoient accourus au cry du roy, et pendant qu’on le massacroit ainsi, on tient qu’il dit ce propos, je loue Dieu de mourir si doucement, car je ne pensois pas passer de celle vie ainsy et en estre quitte à si bon marché : et fut son corps mort jetté en pleine rue, et puis après bruslé, comme on rapporta à M. de Mayenne. Le roy mourut ainsy la nuit d’après sa blessure à deux heures après minuit. Vostre sainteté notera s’il luy plaist quelques-unes des plus grandes circonstances de ce fait-là, pource qu’il avint le jour que l’église celebre la feste de saint Pierre aux liens, que Dieu delivra miraculeusement par son ange des mains d’Hérodes et de toute l’attente du peuple des Juifs ausquels il devoit estre produit ; et les catholiques peuvent dire qu’à tel jour Dieu les a delivrez des mains des hérétiques, et du joug d’un prince qui portoit en son ame le desir de combler de desolations toute la chrestienté. Et à quel jour, très-saint pere, pourroit mieux estre authorisé de la puissance de Dieu le monitoire de vostre sainteté envers le roy impenitent et contempteur du saint siege apostolique ? Quand 24 heures après l’assassinat de M. de Guise, ledit roy de sang froid fit inhumainement massacrer feu M. le cardinal son frere, l’on observe que le mot du guet que l’on avoit donné au meurtrier estoit saint Clement. Pendant ce crime si execrable il estoit dans son cabinet à s’en conjouir avec ses mignons et complices desdits meurtres ; et Dieu a permis qu’un religieux nommé Clement [2] l’ait tué dans son cabinet au milieu d’une grande armée qui n’a seû assurer sa detestable vie. L’impiété l’avoit tellement saisy depuis que l’hipocrisie luy avoit fait place, qu’il n’abhorroit que les prédicateurs qui avoient publiquement argué ses vices, et pour cette occasion ne respiroit que leur ruine

  1. Nota bene.
  2. Nota bene.