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HENRI III.

tendre parfaitement la langue française, et de la parler poliment et correctement. La peine qu’il prit pour cela eut tout le succès qu’il en pouvait espérer. Noster Galliæ rex Henricus III, elegantiæ sermonis sui studiosus (aliquot præsertim ante obitum annis, quo tempore plura regia quàm multi credunt, habebat) haud infelici et inutili studio, fuit. In eo enim tandem excelluit : et ita quidem ut non minùs castigatum quàm ornatum esse cuperet [1]. Il devinait par le style l’auteur d’un livre : c’est par-là qu’il crut qu’Henri Étienne avait fait un certain ouvrage qui avait paru sans nom d’auteur [2] : il ne s’y trompa point. Il prit à cœur les intérêts de sa langue, et ayant commandé à Henri Étienne d’en montrer les avantages et l’excellence, il le pressa si vivement de composer ce traité, qu’il fallut lui en apporter bientôt un exemplaire [3]. J’ai dit ailleurs [4] qu’il souhaita que ce savant homme fit un parallèle entre les cicéroniens d’Italie et les cicéroniens de France. J’ai dit aussi [5] qu’il aima Bodin à cause des discours savans qu’il l’entendait faire. Il y eut bien d’autres personnes doctes dont il aima la conversation. Notez qu’en 1579 il donna 3,000 livres à Henri Étienne, et une pension de 300 livres par an [6].

Il me reste à prouver que l’on jugea qu’il employait à ces choses un temps qu’il devait donner à des affaires plus pressantes. « Si jamais prince eust subject de crainte, ce fut lors [7] : toutesfois ce nouveau roy, comme s’il eust été exposé en la tranquillité d’une profonde paix, au lieu d’endosser le harnois, se faisoit enseigner d’un costé la grammaire et langue latine par Doron (qu’il fit depuis conseiller au grand conseil), et d’un autre costé exerçoit une forme de concert et académie avec les sieurs de Pibrac, Ronsard et autres beaux-esprits à certains jours, ausquels chacun discouroit sur telle matiere qu’ils s’estoyent auparavant designée. Noble et digne exercice vrayement, mais non convenable aux affaires que lors ce prince avoit sur les bras. Ces nouvelles leçons de grammaire me donnerent subject d’esclater par une colere ces six vers latins

» Gallia dum passim civilibus occidit armis,
» Et cinere obruitur semisepulta suo,
» Grammaticam exercet mediâ rex noster in aulâ,
» Dicere jamque potest vir generosus, amo.
» Declinare cupit, verè declinat et ille ;
» Rex bis qui fuerat, fit modò grammaticus [8]. »


M. de Pibrac ayant dit un jour à Pasquier [9] qu’il avait entendu que Marillac [10] avait composé cette épigramme, ajouta que s’il en estoit asseuré, et lui feroit reparer sa faute ; car il n’appartient pas à un subject de se jouer de cette façon sur les mœurs et déportements de son prince [11] : « Cela seroit bon, repartit Pasquier [12], en la bouche d’un autre que de vous, qui devez penser, que si un roy, qui est exposé à la veue de tous ses subjects, ne met quelque bride à ses actions, il est fort malaisé qu’il puisse commander aux mescontentements de ceux qui plus le respectent ; et que telle maniere de vers venoit non d’une main ennemie de sa majesté, ains qui en estoit idolastre, mais faschée de le voir tomber par ce moyen au mespris de tout son peuple ; voire que nous devions tous souhaiter au cas qui lors se presentoit, que cest épigramme tombast és mains de nostre roy, pour luy estre une leçon, non de la grammaire la-

  1. Henricus Stephanus, epist. dedicator. Tractatûs de Lipsii Latinitate, pag. 11.
  2. Idem, ibidem.
  3. Ita ergodioctes fuerit, ut intra breve temporis spatium non solùm compositum sed excusum etiam afferre ad illum oportuerit. Idem, ibidem.
  4. Citation (3) de l’article Bunel (Pierre), tom. IV, pag. 248.
  5. Citation (27) de l’article Bodin, tom. III, pag. 515.
  6. La Caille, Histoire de l’Imprimerie, pag. 135.
  7. C’est-à-dire, au temps de la guerre civile que lui suscitèrent, au commencement de son règne ; le duc d’Alençon et le roi de Navarre.
  8. Pasquier, Lettres, liv. XIX, tom. II, pag. 482.
  9. Là même, pag. 483.
  10. Jeune advocat de grande promesse. Pasquier, Lettres, tom. II, pag. 483.
  11. Là même, pag. 484.
  12. Là même.