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HENRI III.

morts, desquels sans perdre cœur d’une telle perte, elle en entreprit la vengeance ; et en ayant sçeu les nouvelles dans Paris, sans se tenir recluse en sa chambre, à en faire les regrets à la mode d’autres femmes, elle sort de son hostel avec les enfans de monsieur son frere, les tenant par les mains, les pourmene par la ville, fait sa deploration devant le peuple, l’animant de pleurs, de cris, de pitié, et paroles, qu’elle fit à tous, de prendre les armes, de s’élever en furie, et faire les insolences sur la maison et le tableau du roy, comme l’on a veu, et que j’espere dire en sa vie, et à luy denier la fidelité, et au contraire, de luy jurer toute rebellion ; dont puis après aussi son meurtre s’en ensuivit : duquel est à sçavoir qui sont ceux et celles qui en ont donné les conseils, et en sont coupables [1]. Ce fut elle qui poussa le plus Jacques Clément à tuer le roi. Elle n’y épargna rien, dit-on, non pas même ce qu’on appelle la dernière faveur [2].

(E) Au mois de septembre 1554. ] Le roi arriva le 5 de septembre 1574 au pont de Beauvoisin, et non pas le 21 de septembre 1555, comme l’ont dit deux ou trois historiens [3], que Jean Aymes de Chavigny censure dans la page 224 de la première face du Janus français. C’est ainsi qu’il intitule son explication de Nostradamus.

(F) À former des entreprises contre la France. ] L’auteur de la première Savoisienne [4] rapporte [5] que lorsqu’Heuri III revint de Pologne et passa par la Savoie, on lui demanda, pour récompense d’une collation, la ville de Pignerol et celle de Savillan ; et que ce prince, duquel le seul défaut a été une trop grande bonté, les accorda ; que le duc de Savoie, fils de celui qui avait reçu un si beau présent [6], se prévalut des confusions de la France, l’an 1588, car voyant le roi Henri III hors de sa capitale, il envahit le marquisat de Saluces ; qu’après avoir envoyé un ambassadeur au roi avec assurance de remettre tout entre ses mains, il dégrada tout d’un coup les officiers de sa majesté, y en établit de son autorité ducale..., et au même instant, pour faire voir en tous lieux les trophées de sa victoire, il feit forger une superbe monnaie, qui avait empreint un centaure foulant du pied une couronne renversée, avec cette devise, Oportuné. C’était pour montrer qu’il avait su prendre son temps [7]. On voit dans la seconde Savoisienne, qu’après la mort d’Henri III il se rendit maître de plusieurs places en Provence, et qu’il fallut qu’Henri IV s’emparât de la Savoie pour le mettre à la raison. Notez que, pour lui rendre le change sur sa monnaie [8], le roi en fit battre une autre, dans laquelle il y avait un Hercule armé à l’antique, foulant aux pieds un centaure, sur lequel il hausse une massue de la droite, et de la gauche une couronne qu’il sem- ble avoir relevée ; et pour l’âme de ce corps, était ce mot, Oportuniùs : pour montrer qu’on avait su mieux prendre le temps que lui, et plus honorablement, puisque l’on avait employé la force des armes au lieu des surprises qu’avec une grande ingratitude il avait exercées [9]. Cela réparait le mal à quoi la cession de Pignerol avait donné lieu, mais la faute de Henri III n’en était pas moins réelle.

L’auteur d’un écrit fort injurieux à monsieur le duc de Savoie d’aujourd’hui [10], a parlé de cette affaire, mais non pas sans quelques erreurs. Henri III, dit-il [11], ayant la guerre à soutenir contre une puissante ligne, Charles-Emmanuel, aïeul [12] de son altesse royale, fit

  1. Brantôme, Dames galantes, tom. II, pag. 36
  2. Voyez M. de Thou, cité par l’auteur de la Critique générale, lettre III, pag. 43.
  3. Milles Piguerre, Jean le Frère, et celui qui a fait l’appendice des Annales de France.
  4. C’est un écrit qui fut publié au temps qu’Henri IV obligea le duc de Savoie à lui faire raison du marquisat de Saluces.
  5. Première Savoisienne, pag. m. 16.
  6. Là même, pag. 17 et suiv.
  7. Voyez la seconde Savoisienne, pag. 109.
  8. Là même, pag. 132.
  9. Voyez, touchant les deux inscriptions, oportunè, oportuniùs, les Lettres de Pasquier, liv. XIX, tom. II, pag. 450 et suiv.
  10. On écrit ceci en octobre 1697.
  11. Mémoires de M. D. F. L., touchant ce qui s’est passé, en Italie, entre Victor-Amédée II, duc de Savoye, et le roi T. C., pag. 146. Ce livre fut publié, l’an 1696.
  12. Il fallait dire bisaïeul.