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HENRI III.

fit éprouver un sort tout-à-fait semblable à celui de ces enfans qui sont d’abord élevés par une mère fort tendre et puis par une cruelle marâtre. La gloire de sa jeunesse fut très-brillante, et lui procura d’une manière remplie d’éclat et d’honneur le royaume de Pologne ; mais cette vive lumière s’éclipsa bientôt : il abandonna peu après avec plus d’ignominie cette couronne, qu’il n’y avait eu de gloire dans son élection ; car que peut-on voir de plus étrange et de plus honteux qu’un monarque qui prend la fuite pendant les ténèbres de la nuit, et qui se retire avec la dernière vitesse hors de ses états, comme un criminel qui sent à ses trousses le prevôt des maréchaux ? Voilà de quelle manière Henri III abandonna la Pologne [a]. Si l’on pouvait excuser cette évasion sur l’intérêt qu’il avait de se presser d’aller recueillir un héritage beaucoup meilleur que le sceptre qu’il portait, nous ne laisserions pas de pouvoir dire qu’il fallait bien qu’il fût né sous une malheureuse constellation, et Diis iratis, puisqu’il se trouvait réduit à de telles extrémités, qu’il ne pouvait succéder qu’à ce prix-là au roi son frère. Ce serait toujours une marque que sa fortune l’aurait mené malignement par des chemins entortillés et embarrassés. On le chercha dans lui-même après son retour en France, et on ne le trouva point ce duc d’Anjou, qui avait acquis une si grande réputation [b], ne paraissait plus dans la personne de Henri III. On n’y vit d’abord que l’humeur d’un misanthrope (G). Voici bien d’autres caprices de la fortune de ce monarque. Il avait un frère qui était un pesant fardeau sur ses épaules ; la mort l’en délivra ; il sentit beaucoup de joie de cette délivrance, et cela même doit passer pour une infortune ; car qu’y a-t-il de plus bizarre que d’être réduit à se réjouir de la mort de son frère unique ? mais enfin ce serait toujours une espèce d’avantage, si l’on en tirait une longue utilité. C’est ce que Henri III n’éprouva point ; car il s’aperçut bientôt que la mort du duc d’Alençon, quelque avantageuse qu’elle lui fût, lui était encore plus préjudiciable qu’utile (H), puisqu’elle fournit un prétexte de cabaler, et qu’elle fomenta cette faction dangereuse qui fit sentir tant de mortifications au roi, et qui l’accabla enfin. La joie qu’il eut de s’être défait du duc de Guise fut de la même nature ; elle ne dura guère : il éprouva dès les premiers jours que ce grand coup de partie qu’il avait cru absolument nécessaire à son repos et à sa sûreté, le plongeait dans de nouveaux embarras et dans de mortelles inquiétudes (I). On doit avouer qu’il se surpassa lui-même dans l’exécution du projet de faire mourir le duc de Guise (K). Il y fit paraître beaucoup de prudence et beaucoup de résolution, et pour le moins beaucoup plus que dans les rencontres précédentes, où il s’était comporté d’une manière qui l’avait rendu le mépris du pa-

  1. Voyez M. de Thou, au commencement du livre LVIII.
  2. Voyez l’article Mariana, tom. X, remarque (O).